25/02/2013 - 14:56
Violences sexuelles en Inde: flashback sur une révolte
Février 2011. Nuit d'encre. Les phares de notre 4X4 plongent dans les nids-de-poule, des colonnes de camions nous dépassent pesamment après une ribambelle de coups de klaxons. Nous avons quitté Delhi il y a près de huit heures et nous sommes complètement perdus. A moins de 300 km de la capitale fédérale indienne mais à des années lumière du développement urbain, nous tournons en rond, cernés par l'obscurité, au fin fond du Pendjab, un Etat frontalier du Pakistan. Pas de carte routière détaillée, pas de panneau de signalisation, pas de GPS.
Le papier sur lequel a été griffonné le nom d'un lieu-dit et le numéro de portable d'un membre de la famille de Bant Singh passe de main en main dans la voiture surchauffée, où nous sommes entassés à sept. Mais il n'y a pas de réseau et personne à héler sur le bord de la route. Personne non plus dans les villages que nous traversons, livrés à des meutes de chiens errants, fins et agiles comme des renards. On dirait que nous sommes tombés dans un trou noir, dans le trou noir de ce sous-continent que je découvre depuis un peu plus d'un an, et que tout ce qui peut survenir n'aura pas d'existence réelle.
J'avais rencontré Bant Singh un mois plus tôt, dans le cocon du festival littéraire de Jaipur, la touristique "ville rose" du Rajasthan. Le chanteur avait été invité à se produire pour l'un des concerts organisés le soir, après les colloques et lectures suivis par la brillante élite intellectuelle du pays. Posé sur sa chaise roulante, seul au milieu de l'immense scène du festival, il avait scandé sa rage, petit bonhomme mutilé face à des centaines d'Indiens en tenue d'apparat, un peu gênés par le décalage entre leurs deux mondes.
Après sa performance, écoutée d'une oreille distraite par la foule, j'avais foncé dans les coulisses pour tenter de lui parler, en dépit de sa famille formant un efficace cercle de protection. Nous avions le projet, avec un vidéaste de l'AFP, de le rencontrer dans son village, au moment où de jeunes musiciens engagés de Delhi s'intéressaient à ses chansons révolutionnaires. Je n'avais pu lui parler directement mais un cousin m'avait traduit ses paroles et je repartais avec ses coordonnées sur une feuille de papier sale.
Lorsqu'on voit Bant Singh pour la première fois, on a aussitôt envie de détourner les yeux, moins par dégoût que par une sorte de réflexe inconscient. Ses bras n'existent plus: ce sont deux moignons de chair brune torsadée, dont l'un lui arrive plus bas que les aisselles et l'autre se termine presqu'au niveau du nombril. Quand il parle, ses moignons se dressent dans l'air comme des épines, ou comme des armes qui voudraient se battre. Quant à ses jambes, il ne lui en reste plus qu'une mais elle est tellement abîmée qu'elle ne ressemble plus à rien. L'autre a été vilainement amputée. Charcutée serait un terme plus juste.
En 2006, la fille de 17 ans de ce paysan pauvre a été violée par de puissants propriétaires terriens du voisinage. Elle les connaissait, elles les a dénoncés à son père, chanteur à ses heures. Fait rare dans l'Inde des castes où la hiérarchie sociale ne se discute pas, Bant Singh les a traînés en justice. La condamnation des sept auteurs à des peines de prison fut une éclatante victoire pour cette famille de peu à qui le système impose d'ordinaire le silence. Mais la revanche s'arrête là.
Peu après leur condamnation, Bant Singh travaillait dans son champ quand des inconnus l'ont passé à tabac. Il fut battu avec une barre de pompe à eau jusqu'à ce que sa chair devienne de "la pulpe". Laissé comme un arbre mort sur le bord du chemin. Après des opérations pratiquées sans égard par des médecins de mèche avec les agresseurs, selon lui, il ressemble désormais à une marionnette cassée dont les yeux lancent des éclairs.
A l'heure où les buffles ont été rentrés depuis longtemps, nous arrivons enfin dans la cour de sa masure en brique rouge, sans portes ni fenêtres. Une nuée d'enfants surgit et s'agenouille pour nous effleurer les pieds, en signe de respect. La tentation est grande, presqu'épidermique, de couper court à ce cérémonial d'un autre âge mais ce serait risquer de vexer nos hôtes. Il est tard et nous nous séparons en deux groupes: les hommes (notre chauffeur, les deux musiciens qui nous accompagnent et le vidéaste de l'AFP) dormiront dans le même lit étroit, partageant la pièce avec Bant Singh, qui repose sur sa paillasse avec son plus jeune fils. Les femmes (notre traductrice, l'épouse de Bant Singh, une journaliste française et moi-même) dormiront dans l'autre pièce de la maison, qui se ferme avec une bâche.
Mais les violeurs de sa fille ont été libérés sous caution quatre mois plus tôt et la peur rôde au moment de se coucher. La nuit est longue lorsqu'on guette le moindre sifflement du vent, lorsqu'on sait ce qu'"ils" sont capables de faire. L'ampoule nue du plafond restera allumée toute la nuit, faible avertissement qu'ici, des gens veillent. Un long bâton repose le long du mur près de la porte, au cas où.
Attachée au pied de mon lit, une chèvre aux yeux bleus m'observe intensément et je me demande qui de nous deux est la plus étonnée de notre rencontre.
"Ca m'est égal de ne plus avoir mes membres, ils n'ont pas coupé ma langue", me dira le lendemain Bant Singh, militant du Parti communiste qui a planté un drapeau rouge sur le toit de sa maison, symbole, dit-il, du sang versé depuis la nuit des temps.
"Nous, les prolétaires, voulons les même droits que les riches, nous voulons une vie de respect et d'égalité. Mes chansons sont des mots que je lance en l'air comme des gouttes de sang".
Notre interview est ponctuée de "pauses techniques", comme lorsqu'un besoin pressant lui fait appeler son fils pour uriner, sous nos yeux, dans un récipient qu'il ne peut lui même tenir. Ou lors de pauses cigarettes, que nous fumons en cachette avec la traductrice, accroupies dans un recoin du toit, car il est très mal vu qu'une femme fume en public.
La route de Bant Singh, qui se donne "entre 40 et 42 ans", a croisé par hasard celle de plusieurs musiciens en vogue à New Delhi, dont Taru Dalmia, chanteur de hip-hop et ska dont les paroles en anglais crachent son dégoût de voir l'Inde se développer au mépris des plus défavorisés.
"En Inde, la musique est généralement liée au divertissement. Je voulais trouver des chanteurs révolutionnaires locaux qui puissent entrer en résonance avec moi parce qu'il doit y avoir des chansons politiques en Inde", dit Taru, qui a composé plusieurs titres mêlant la voix de Bant Singh, en pendjabi, à des sons électro.
Pour Taru, Bant Singh est "une sorte de héros, un exemple de la façon dont on peut lutter contre l'adversité. Son corps est à lui seul une révolution".
Janvier 2013, New Delhi. Le corps martyrisé d'un autre homme, en fauteuil roulant. Il s'apprête à entrer au tribunal pour témoigner contre cinq hommes accusés d'avoir violé en réunion sa petite amie de 23 ans, décédée des suites de ses blessures.
Il ne peut plus marcher après avoir été lui-même battu, ce 16 décembre 2012, alors que son amie était violée à plusieurs reprises et agressée sexuellement avec une barre de fer rouillée, provoquant d'irréversibles lésions internes.
La jeune fille est morte treize jours plus tard dans un hôpital de Singapour, même si la rumeur dit qu'elle est morte en Inde et que les autorités, moyennant finances à sa famille, ont emmené le corps à l'étranger pour éviter une flambée de violences.
Depuis ma rencontre avec Bant Singh, des milliers de viols, agressions, meurtres à caractère sexuel se sont produits en Inde. Et la morne litanie des faits divers a fini par m'anesthésier. Les foeticides, les jeunes filles qu'on tue par étouffement pour empêcher un mariage avec un homme d'une caste inférieure, les enlèvements d'enfants, les culs-de-jatte qui cognent ce qui leur reste de corps contre la portière au feu rouge, m'ont forcée à m'immuniser.
Lorsque j'envoie la première dépêche, le 19 décembre dernier, sur le viol de cette étudiante dans un autobus à New Delhi, alors qu'elle rentrait du cinéma avec son ami, je n'ai aucun doute sur le fait que ce énième fait divers ne secouera pas beaucoup l'opinion.
Erreur.
La population, à New Delhi, est scandalisée. Au bureau, nous comprenons peu à peu pourquoi cette affaire est celle de trop:
- Premièrement, le viol s'est produit à New Delhi et non dans un village reculé de l'Inde
- Deuxièmement, il s'est produit après une séance de cinéma au centre commercial de Saket, là où la classe moyenne va déambuler le dimanche en famille
- Troisièmement, le jeune couple était allé voir "L'odyssée de Pi", un film dont tout le monde ici a entendu parler parce qu'il raconte l'histoire d'un Indien
- Quatrièmement, le viol s'est produit en dépit du fait que la jeune femme était accompagnée. Or la règle numéro un pour les femmes est de ne jamais sortir seule pour éviter les agressions.
La colère et l'espoir de voir changer les choses font vibrer le cortège des manifestants, un peu comme le mouvement d'Anna Hazare contre la corruption avait fait se lever la classe moyenne, à l'été 2011. Devant India Gate, lieu traditionnel de rassemblement, on dit "Plus jamais ça", face à la police antiémeute en rangs serrés.
Les femmes crient qu'elles veulent vivre, qu'elles veulent être libres de sortir, de s'habiller en jupe sans avoir la peur au ventre ni être accusées de provocation.
L'Inde fait les gros titres des journaux à l'étranger. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, exprime depuis New York son chagrin.
L'affaire a un écho médiatique international et je me demande, avec une amertume que je ne me connais pas, pourquoi la centaine de morts au Cachemire sous les balles de la police lors de manifestations à l'été 2010, pour ne prendre que cet exemple, n'a pas eu le même retentissement, pourquoi personne n'est descendu dans la rue.
Entre amis, au bureau, nous discutons de la couverture de ce viol, des écueils journalistiques et des expressions à l'emporte-pièce à éviter. De l'espoir d'un changement de la société mais aussi de l'image de l'Inde que nous renvoyons, nous journalistes étrangers, car il serait injuste de réduire ce pays à sa violence sociale, si sordide soit-elle.
La société civile s'interroge à voix haute, se mobilise, les initiatives individuelles se multiplient pour plus de justice, plus d'égalité. Lors des manifestations à New Delhi, le coeur du cortège était formé de jeunes gens.
La jeunesse croit en sa rage de vivre. COPY http://www.afp.com/
par Béatrice Le Bohec
Février 2011. Nuit d'encre. Les phares de notre 4X4 plongent dans les nids-de-poule, des colonnes de camions nous dépassent pesamment après une ribambelle de coups de klaxons. Nous avons quitté Delhi il y a près de huit heures et nous sommes complètement perdus. A moins de 300 km de la capitale fédérale indienne mais à des années lumière du développement urbain, nous tournons en rond, cernés par l'obscurité, au fin fond du Pendjab, un Etat frontalier du Pakistan. Pas de carte routière détaillée, pas de panneau de signalisation, pas de GPS.
AFP/STR
Le papier sur lequel a été griffonné le nom d'un lieu-dit et le numéro de portable d'un membre de la famille de Bant Singh passe de main en main dans la voiture surchauffée, où nous sommes entassés à sept. Mais il n'y a pas de réseau et personne à héler sur le bord de la route. Personne non plus dans les villages que nous traversons, livrés à des meutes de chiens errants, fins et agiles comme des renards. On dirait que nous sommes tombés dans un trou noir, dans le trou noir de ce sous-continent que je découvre depuis un peu plus d'un an, et que tout ce qui peut survenir n'aura pas d'existence réelle.
J'avais rencontré Bant Singh un mois plus tôt, dans le cocon du festival littéraire de Jaipur, la touristique "ville rose" du Rajasthan. Le chanteur avait été invité à se produire pour l'un des concerts organisés le soir, après les colloques et lectures suivis par la brillante élite intellectuelle du pays. Posé sur sa chaise roulante, seul au milieu de l'immense scène du festival, il avait scandé sa rage, petit bonhomme mutilé face à des centaines d'Indiens en tenue d'apparat, un peu gênés par le décalage entre leurs deux mondes.
Après sa performance, écoutée d'une oreille distraite par la foule, j'avais foncé dans les coulisses pour tenter de lui parler, en dépit de sa famille formant un efficace cercle de protection. Nous avions le projet, avec un vidéaste de l'AFP, de le rencontrer dans son village, au moment où de jeunes musiciens engagés de Delhi s'intéressaient à ses chansons révolutionnaires. Je n'avais pu lui parler directement mais un cousin m'avait traduit ses paroles et je repartais avec ses coordonnées sur une feuille de papier sale.
Lorsqu'on voit Bant Singh pour la première fois, on a aussitôt envie de détourner les yeux, moins par dégoût que par une sorte de réflexe inconscient. Ses bras n'existent plus: ce sont deux moignons de chair brune torsadée, dont l'un lui arrive plus bas que les aisselles et l'autre se termine presqu'au niveau du nombril. Quand il parle, ses moignons se dressent dans l'air comme des épines, ou comme des armes qui voudraient se battre. Quant à ses jambes, il ne lui en reste plus qu'une mais elle est tellement abîmée qu'elle ne ressemble plus à rien. L'autre a été vilainement amputée. Charcutée serait un terme plus juste.
En 2006, la fille de 17 ans de ce paysan pauvre a été violée par de puissants propriétaires terriens du voisinage. Elle les connaissait, elles les a dénoncés à son père, chanteur à ses heures. Fait rare dans l'Inde des castes où la hiérarchie sociale ne se discute pas, Bant Singh les a traînés en justice. La condamnation des sept auteurs à des peines de prison fut une éclatante victoire pour cette famille de peu à qui le système impose d'ordinaire le silence. Mais la revanche s'arrête là.
Peu après leur condamnation, Bant Singh travaillait dans son champ quand des inconnus l'ont passé à tabac. Il fut battu avec une barre de pompe à eau jusqu'à ce que sa chair devienne de "la pulpe". Laissé comme un arbre mort sur le bord du chemin. Après des opérations pratiquées sans égard par des médecins de mèche avec les agresseurs, selon lui, il ressemble désormais à une marionnette cassée dont les yeux lancent des éclairs.
AFP/Sam PANTHAKY
A l'heure où les buffles ont été rentrés depuis longtemps, nous arrivons enfin dans la cour de sa masure en brique rouge, sans portes ni fenêtres. Une nuée d'enfants surgit et s'agenouille pour nous effleurer les pieds, en signe de respect. La tentation est grande, presqu'épidermique, de couper court à ce cérémonial d'un autre âge mais ce serait risquer de vexer nos hôtes. Il est tard et nous nous séparons en deux groupes: les hommes (notre chauffeur, les deux musiciens qui nous accompagnent et le vidéaste de l'AFP) dormiront dans le même lit étroit, partageant la pièce avec Bant Singh, qui repose sur sa paillasse avec son plus jeune fils. Les femmes (notre traductrice, l'épouse de Bant Singh, une journaliste française et moi-même) dormiront dans l'autre pièce de la maison, qui se ferme avec une bâche.
Mais les violeurs de sa fille ont été libérés sous caution quatre mois plus tôt et la peur rôde au moment de se coucher. La nuit est longue lorsqu'on guette le moindre sifflement du vent, lorsqu'on sait ce qu'"ils" sont capables de faire. L'ampoule nue du plafond restera allumée toute la nuit, faible avertissement qu'ici, des gens veillent. Un long bâton repose le long du mur près de la porte, au cas où.
Attachée au pied de mon lit, une chèvre aux yeux bleus m'observe intensément et je me demande qui de nous deux est la plus étonnée de notre rencontre.
"Ca m'est égal de ne plus avoir mes membres, ils n'ont pas coupé ma langue", me dira le lendemain Bant Singh, militant du Parti communiste qui a planté un drapeau rouge sur le toit de sa maison, symbole, dit-il, du sang versé depuis la nuit des temps.
"Nous, les prolétaires, voulons les même droits que les riches, nous voulons une vie de respect et d'égalité. Mes chansons sont des mots que je lance en l'air comme des gouttes de sang".
Notre interview est ponctuée de "pauses techniques", comme lorsqu'un besoin pressant lui fait appeler son fils pour uriner, sous nos yeux, dans un récipient qu'il ne peut lui même tenir. Ou lors de pauses cigarettes, que nous fumons en cachette avec la traductrice, accroupies dans un recoin du toit, car il est très mal vu qu'une femme fume en public.
La route de Bant Singh, qui se donne "entre 40 et 42 ans", a croisé par hasard celle de plusieurs musiciens en vogue à New Delhi, dont Taru Dalmia, chanteur de hip-hop et ska dont les paroles en anglais crachent son dégoût de voir l'Inde se développer au mépris des plus défavorisés.
"En Inde, la musique est généralement liée au divertissement. Je voulais trouver des chanteurs révolutionnaires locaux qui puissent entrer en résonance avec moi parce qu'il doit y avoir des chansons politiques en Inde", dit Taru, qui a composé plusieurs titres mêlant la voix de Bant Singh, en pendjabi, à des sons électro.
Pour Taru, Bant Singh est "une sorte de héros, un exemple de la façon dont on peut lutter contre l'adversité. Son corps est à lui seul une révolution".
AFP/Sajjad Hussain
Janvier 2013, New Delhi. Le corps martyrisé d'un autre homme, en fauteuil roulant. Il s'apprête à entrer au tribunal pour témoigner contre cinq hommes accusés d'avoir violé en réunion sa petite amie de 23 ans, décédée des suites de ses blessures.
Il ne peut plus marcher après avoir été lui-même battu, ce 16 décembre 2012, alors que son amie était violée à plusieurs reprises et agressée sexuellement avec une barre de fer rouillée, provoquant d'irréversibles lésions internes.
La jeune fille est morte treize jours plus tard dans un hôpital de Singapour, même si la rumeur dit qu'elle est morte en Inde et que les autorités, moyennant finances à sa famille, ont emmené le corps à l'étranger pour éviter une flambée de violences.
Depuis ma rencontre avec Bant Singh, des milliers de viols, agressions, meurtres à caractère sexuel se sont produits en Inde. Et la morne litanie des faits divers a fini par m'anesthésier. Les foeticides, les jeunes filles qu'on tue par étouffement pour empêcher un mariage avec un homme d'une caste inférieure, les enlèvements d'enfants, les culs-de-jatte qui cognent ce qui leur reste de corps contre la portière au feu rouge, m'ont forcée à m'immuniser.
Lorsque j'envoie la première dépêche, le 19 décembre dernier, sur le viol de cette étudiante dans un autobus à New Delhi, alors qu'elle rentrait du cinéma avec son ami, je n'ai aucun doute sur le fait que ce énième fait divers ne secouera pas beaucoup l'opinion.
Erreur.
La population, à New Delhi, est scandalisée. Au bureau, nous comprenons peu à peu pourquoi cette affaire est celle de trop:
- Premièrement, le viol s'est produit à New Delhi et non dans un village reculé de l'Inde
- Deuxièmement, il s'est produit après une séance de cinéma au centre commercial de Saket, là où la classe moyenne va déambuler le dimanche en famille
- Troisièmement, le jeune couple était allé voir "L'odyssée de Pi", un film dont tout le monde ici a entendu parler parce qu'il raconte l'histoire d'un Indien
- Quatrièmement, le viol s'est produit en dépit du fait que la jeune femme était accompagnée. Or la règle numéro un pour les femmes est de ne jamais sortir seule pour éviter les agressions.
AFP/Sajjad Hussain
La colère et l'espoir de voir changer les choses font vibrer le cortège des manifestants, un peu comme le mouvement d'Anna Hazare contre la corruption avait fait se lever la classe moyenne, à l'été 2011. Devant India Gate, lieu traditionnel de rassemblement, on dit "Plus jamais ça", face à la police antiémeute en rangs serrés.
Les femmes crient qu'elles veulent vivre, qu'elles veulent être libres de sortir, de s'habiller en jupe sans avoir la peur au ventre ni être accusées de provocation.
L'Inde fait les gros titres des journaux à l'étranger. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, exprime depuis New York son chagrin.
L'affaire a un écho médiatique international et je me demande, avec une amertume que je ne me connais pas, pourquoi la centaine de morts au Cachemire sous les balles de la police lors de manifestations à l'été 2010, pour ne prendre que cet exemple, n'a pas eu le même retentissement, pourquoi personne n'est descendu dans la rue.
Entre amis, au bureau, nous discutons de la couverture de ce viol, des écueils journalistiques et des expressions à l'emporte-pièce à éviter. De l'espoir d'un changement de la société mais aussi de l'image de l'Inde que nous renvoyons, nous journalistes étrangers, car il serait injuste de réduire ce pays à sa violence sociale, si sordide soit-elle.
La société civile s'interroge à voix haute, se mobilise, les initiatives individuelles se multiplient pour plus de justice, plus d'égalité. Lors des manifestations à New Delhi, le coeur du cortège était formé de jeunes gens.
La jeunesse croit en sa rage de vivre. COPY http://www.afp.com/
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