Inévitables fractures idéologiques à gauche

François Hollande, président de la République, saluant Manuel Valls, ministre de l'Intérieur.
Point de vue

Inévitables fractures idéologiques à gauche

Plusieurs intellectuels s'expriment dans "Le Monde" sur les tiraillements dans la majorité, révélés par l'affaire Leonarda. Est-ce le temps de la guerre des gauches ?
Nicolas Truong


LE MONDE | • Mis à jour le | Par
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François Hollande, président de la République, saluant Manuel Valls, ministre de l'Intérieur.

Elle était larvée et n'attendait qu'accrochages et points de fixation pour être ravivée. Avec les atermoiements du gouvernement et la politique en forme de yoyo du président ("d'une main je donne, de l'autre je reprends"), ceux-ci n'ont pas manqué. De la nationalisation avortée du site industriel de Florange par Arnaud Montebourg au projet de réforme pénale contesté de Christiane Taubira, de l'ouverture déprogrammée des salles de shoot à la récente affaire Leonarda, la guerre des gauches est ouverte. Un conflit lancinant entre une gauche dite "pragmatique" et une gauche dite "romantique", une gauche "autoritaire" et une gauche "libertaire". Ainsi, Pierre Moscovici, ministre de l'économie, a assuré, mardi 22 octobre sur le plateau de BFM-TV, être "pour la gauche qui fait, qui agit, qui transforme", et "pas la gauche qui, sans arrêt, proteste ou dénonce ou crie".

Sauf qu'au moins depuis le Front populaire, il y a plusieurs façons de faire de la politique à gauche : étatiste, collectiviste, colbertiste, souverainiste, gauchiste, gaullo-communiste, socialiste, social-démocrate… Après avoir été tenté par le collectivisme individualiste et internationaliste des pionniers (Jaurès, Blum) ou par le dirigisme économique, François Mitterrand avait tranché. Avec le tournant de la rigueur, en 1983, la social-démocratie libérale avait pris le pouvoir dans les esprits, même si Michel Rocard, l'homme phare, avec Jacques Delors, de la "deuxième gauche", ne sera nommé premier ministre qu'à contrecoeur et contretemps, en 1988.
Mais on aurait tort de réduire la guerre des gauches à l'alternative entre girondins et jacobins, entre gauche libérale et gauche sociale. Comme on le disait de la gauche des années Jospin, la guerre des gauches est désormais "plurielle".
A droite, l'historien René Rémond avait distingué trois sensibilités d'action et de pensée : contre-révolutionnaire (droite "légitimiste"), libérale (droite "orléaniste") et césarienne (droite "bonapartiste"). A gauche, l'éditorialiste Jacques Julliard a proposé de dénombrer quatre familles idéologiques : libéralisme de gauche, jacobinisme, collectivisme et libertarisme (Les Gauches françaises, 1762-2012, Flammarion, "Champs histoire", 2012). Ce sont ces familles qui se chamaillent aujourd'hui au sein d'une majorité transformée en revival des clubs politiques de la Révolution ou d'une gigantesque cour de récréation. Mais ces familles sont aujourd'hui recomposées. Ainsi le libéralisme et le libertarisme s'incarnent-ils chez le député européen "libéral-libertaire" vert Daniel Cohn-Bendit, à la fois européiste, favorable à l'économie de marché et de sensibilité non-autoritaire sur les questions de société (dépénalisation du cannabis, mariage gay, pédagogies nouvelles, etc.).
Ce même libertarisme sociétal peut s'associer à l'anticapitalisme intégral au sein d'une certaine frange des mouvances écologistes, trotskistes ou anarchistes. Mais le libéralisme économique peut aussi s'arrimer à "l'autoritarisme" contenu dans le social-libéralisme sécuritaire de l'actuel ministre de l'intérieur, Manuel Valls.
LE SOCIAL-LIBÉRALISME SÉCURITAIRE A LE VENT EN POUPE
L'opposition classique entre la première et la deuxième gauche reste d'actualité. Pierre Laurent (Parti communiste), Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) ou même Emmanuel Maurel (animateur du courant "Maintenant la gauche" au Parti socialiste) illustrent ce clivage. Tout comme, sur le plan intellectuel, des économistes (Jacques Généreux, Frédéric Lordon), des philosophes (Michel Onfray, Henri Pena-Ruiz), ou des essayistes comme Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, pour qui le socialisme gouvernemental est une "deuxième droite".
La gauche "moderniste" et "réformiste" incarnée par Manuel Valls serait, selon le politologue Zaki Laïdi, la seule capable de gouverner durablement, malgré l'influence jugée délétère du gauchisme minoritaire, notamment représentée par les Verts. Entre rocardisme et chevènementisme, le ministre de l'intérieur souhaiterait établir "une synthèse nouvelle entre un réformisme assumé et une République intransigeante". L'ancien maire d'Evry veut "tout remettre en cause", jusqu'au nom de son parti : "Parti socialiste, c'est daté. Ça ne signifie plus rien", écrivait-il dans Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche (Robert Laffont, 2008). En finir, pêle-mêle, avec la "pente antinucléaire" d'une frange du PS ou l'idéologie multiculturaliste afin d'écrire un programme "comme les sociaux-démocrates allemands" et créer une force politique "comme Tony Blair l'a fait avec le New Labour". Une gauche libérale-sécuritaire également "ferme" et "sans tabou" sur la question des flux migratoires. Sur le site Rue89.com, Noël Mamère, député démissionnaire du parti EELV, estime que "cet enfant de la Rocardie, coaché par ses deux amis, Alain Bauer, ex-conseiller sécuritaire de Sarkozy, et le publicitaire Stéphane Fouks, conseiller de DSK et de Cahuzac, est en train de fracturer pour longtemps la gauche française".
Manuel Valls hystérise donc aussi bien la "gauche sociale" et la "gauche radicale" que le "gauchisme sociétal", cette mouvance post-soixante-huitarde qui aurait troqué le soutien aux ouvriers pour celui des sans-papiers, la défense de la retraite à 60 ans pour celle du "mariage pour tous", dixit Jean-Pierre Le Goff. Mais, reconnaît le sociologue Eric Fassin, les "propos sulfureux" de M. Valls ne favorisent pas la "gauche de la gauche" pour autant.
Les mouvances qui ont le vent en poupe sont à la fois le social-libéralisme sécuritaire de Manuel Valls et le conservatisme de gauche, ce courant que la philosophe Chantal Delsol a appelé dans ces colonnes, les "orwelliens" (Le Monde, 25/05/2013). Orwelliens parce que, à l'image de l'auteur de 1984 et du philosophe Jean-Claude Michéa, qui en est un des commentateurs remarqués, leur conception politique marie progressisme (social) et conservatisme (sociétal), anti-libéralisme et anti-libertarisme. Jean-Claude Michéa qui, à rebours de Manuel Valls, propose d'en finir avec le nom même de "gauche" afin de retrouver le socialisme populiste des origines (Les Mystères de la gauche, Climats, 132 pages, 14 euros).
Voici donc la gauche, faute de projet de société, en terrain miné. Où mènera donc cette guerre des positions ? Nul ne le sait. Dans son Histoire socialiste (1901), Jean Jaurès, avait pourtant prévenu : "N'ayant pas la force d'agir, ils dissertent."Copy http://www.lemonde.fr

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