La "déferlante Snowden" oblige la NSA à rompre avec le culte du secret

Siège de la NSA, à Fort Meade, dans le Maryland.
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La "déferlante Snowden" oblige la NSA à rompre avec le culte du secret

Au Congrès, les détracteurs de l'Agence nationale de sécurité multiplient les projets de loi visant à réduire ses prérogatives.
Philippe Bernard
 


LE MONDE | | Par
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Siège de la NSA, à Fort Meade, dans le Maryland.
"Never say anything." ("Ne dit jamais rien.") Ainsi les initiés ont-ils longtemps décliné le sigle NSA, comme pour souligner la marque de fabrique de l'Agence nationale de sécurité : un culte du secret tel que l'opinion américaine elle-même l'a longtemps méconnue. C'était avant qu'Edward Snowden ne révèle l'hégémonie de la NSA sur les communications privées du monde entier, son alliance avec les géants de l'Internet et sa souveraineté sans contrepoids, à la manière d'un Etat dans l'Etat.
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Depuis lors, son patron, le général Keith Alexander, tente de conjuguer présence dans les médias et langue de bois. Devant la commission du renseignement du Sénat, le 27 septembre, il a sorti son joker lorsqu'un élu démocrate lui a demandé si l'agence conservait des données de géolocalisation : la réponse à cette question, a lancé le général, est... "classée secret-défense". " Never say anything", donc.

En 1952, le décret par lequel le président Truman a fondé la NSA est lui-même resté secret. Il s'agit de centraliser les activités d'interception des renseignements et de décryptage. L'agence, qui dépend du Pentagone, trouve son origine dans l'humiliation de l'attaque surprise de Pearl Harbour en 1941, qui révéla l'incapacité des Etats-Unis à percer les codes de communication de l'armée japonaise.
Dès les années 1950, elle a accès aux communications téléphoniques et télégraphiques internationales. Mais, pendant des décennies, ses activités ne sont apparues publiquement qu'en des occasions rares et fortuites, comme le mystérieux torpillage par Israël, pendant la guerre des Six-Jours, d'un bâtiment de la Navy équipé pour intercepter les communications des Egyptiens.
BUDGET ESTIMÉ ENTRE 8 MILLIARDS ET 10 MILLIARDS DE DOLLARS
La visibilité de la NSA comme son budget ont évidemment bondi après le 11-Septembre. En même temps, la rhétorique de la "guerre contre le terrorisme" de George Bush a renforcé, aux yeux des autorités, la légitimité des intrusions de l'agence. En dépit de résultats contestés et de révélations, dès 2005, sur les écoutes sans mandat judiciaire, Barack Obama a poursuivi sans barguigner cette guerre secrète des télécommunications.
Avec un budget estimé entre 8 milliards et 10 milliards de dollars (de 5,8 milliards à 7,3 milliards d'euros), l'institution, dont l'immense siège est situé à Fort Meade (Maryland), à 30 km de Washington, a pour partenaire et client l'ensemble de l'industrie informatique et de l'Internet américains. Les allers-retours professionnels sont d'ailleurs fréquents entre la NSA et les plus gros opérateurs du Net.
Les antennes de l'agence couvrent l'ensemble de la planète grâce à six autres centres disséminés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Outre les dizaines de milliers de personnes employées par des sous-traitants – comme Edward Snowden jusqu'en juin –, l'agence salarie pas moins de 40 000 civils et militaires.
En prenant à témoin le monde entier de pratiques menaçantes pour la vie privée et les libertés, Edward Snowden a contraint l'exécutif américain à sortir de son mutisme. Mais l'administration Obama s'est surtout montrée soucieuse de répondre au trouble suscité dans l'opinion et n'a nullement remis en cause l'existence de programmes tels que Prism.
L'essentiel des discours a été consacré à justifier les écoutes par la nécessité de prévenir les actes de terrorisme - 54 attentats auraient été déjoués d'après la NSA, selon un décompte controversé - et à insister sur leur caractère légal. Une légalité qui a été contestée lorsque les informations de M. Snowden ont établi que les citoyens américains ne sont nullement épargnés, contrairement aux affirmations officielles, et que les interceptions ne visent pas seulement à assurer la sécurité, mais aussi à épier des stratégies industrielles et politiques de pays amis.
Dès le 9 août, Barack Obama a promis de "réviser" les programmes de surveillance afin d'introduire "davantage de transparence" et des "garde-fous". "Je comprends les inquiétudes de ceux qui craignent des abus", a-t-il déclaré, assurant qu'il n'était pas question d'espionner "les citoyens ordinaires". Le président a annoncé une réforme du Patriot Act, voté au lendemain du 11-Septembre et dont l'article 215 autorise la collecte systématique des données de communication, selon une interprétation gouvernementale contestée. M. Obama a aussi dit vouloir introduire une personnalité "indépendante" chargée de défendre les libertés publiques devant la Cour spéciale (FISC) qui statue sur les demandes d'interceptions formulées par les services de renseignement. Mais les décisions de cette juridiction resteraient secrètes.
AU CONGRÈS, DEUX PROJETS DE RÉFORME RIVAUX S'AFFRONTENT
Au Congrès, la déferlante Snowden a réveillé les ardeurs des contempteurs de la NSA, qui multiplient les projets visant à réduire les prérogatives de l'agence.
En juillet, il s'en est fallu de quelques voix pour que soit adopté un amendement visant à priver la NSA des crédits pour la collecte des métadonnées téléphoniques, à l'initiative d'une coalition hétéroclite entre les libertariens du Tea Party et les démocrates les plus à gauche.
Au Congrès, deux projets de réforme rivaux s'affrontent. L'un, modéré, vise à "changer mais à préserver" le programme Prism jugé "nécessaire à la sécurité de la Nation". Le texte, soutenu par Dianne Feinstein, la sénatrice démocrate qui préside la commission du renseignement, obligerait simplement la NSA à publier un rapport sur la collecte des métadonnées et interdirait l'enregistrement du contenu des appels. Le projet de Mme Feinstein, qui a traité Edward Snowden de "traître", est qualifié de "feuille de vigne" par des élus partisans d'une réforme plus radicale. A la Chambre, le républicain Jim Sensenbrenner, coauteur du Patriot Act, souhaite aujourd'hui limiter les enregistrements téléphoniques aux personnes suspectées de terrorisme.
Au Sénat, des élus issus de la gauche du Parti démocrate et de la droite des républicains sont sur la même ligne, jugeant que le Patriot Act ne légalise pas les pratiques de Prism. Sauf cas de terrorisme ou d'espionnage, ils veulent bannir la collecte systématique des métadonnées des Américains qu'ils estiment contraire au quatrième amendement de la Constitution, qui protège les citoyens contre des fouilles excessives.
Mais rien ne dit que ces propositions, auxquelles l'exécutif semble hostile, deviendront un jour des lois. Le débat parlementaire, amorcé fin septembre au Sénat, doit reprendre incessamment après avoir été stoppé net le 1er octobre. Non qu'il se soit alors heurté à un quelconque veto de la toute-puissante NSA. Mais en raison du "shutdown", les deux semaines de paralysie du gouvernement fédéral consécutives au conflit sur le budget. COPY http://www.lemonde.fr/

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