Chroniques d'un Athénien provisoire (1)
Vue générale d'Athènes depuis une des collines qui surplombent la ville (AFP / Aris Messinis)
Pendant trois mois, jusqu'en décembre 2013, le journaliste Michel Sailhan dirige par intérim le bureau de l'AFP à Athènes et tient un journal de ses observations. Trois petits mois pour s'immerger dans un pays en crise, comprendre toutes ses complexités, avec la certitude de se retrouver régulièrement au cœur de l'actualité mondiale. Pour ce faire, la meilleure école est souvent celle de la vie quotidienne...
Mercredi 18 septembre: la crise depuis les beaux quartiers
Dans le quartier de Kolonaki (AFP / Aris Messinis)
C’est bien difficile à comprendre, un pays en crise, surtout si on se cantonne aux beaux quartiers.
Ainsi des rues de Kolonaki, de ces terrasses bondées d’où montent, jusqu’à très tard, rires, exclamations et joie de vivre. On y voit des filles en short, des garçons dans des jeans subtilement déchirés et des chemises blanches aux manches retournées. Bref, à peu près ce qu’on rencontre dans les capitales du monde entier, à niveau de vie égal et pour autant que le soleil soit de la partie.
La similitude est frappante avec le quartier Nisantasi d’Istanbul, la grande sœur d'Athènes, de l'autre côté de la mer Egée: mêmes jeunes femmes blondes (bien sûr elles sont souvent brunes, comme en Grèce, mais la coloration est travaillée, indétectable, jusqu’à la racine profonde du cheveu…) et aussi mêmes immeubles de l’entre-deux guerres, avec leurs balcons arrondis et leurs bas-reliefs néo-classiques moulés dans le béton.
Mais on pourrait en dire autant de Tel-Aviv: jeans savamment troués, T-shirts de marque, et les mêmes immeubles Bauhaus…
Un peu honteux de ne rien voir, de ne rien comprendre à la Grèce dans cet environnement rupin, extraterritorial et passe partout, alors que je suis à Athènes depuis déjà deux jours, je me promets de partir rapidement à la découverte de la «vraie» ville. Pour ça, j’ai ma méthode: je choisis une ligne de bus ou de tramway qui traverse l’agglomération de part en part. Une «transversale», nord-sud ou est-ouest, que j’emprunte de bout en bout, pour observer aussi bien le centre que les banlieues les plus lointaines. D’un arrêt à l’autre, c’est non seulement le paysage qui change, mais également l’habillement et la physionomie des passagers.
Vendredi 20 septembre: se débarrasser de son logement
Annonces pour des logements à louer ou à vendre dans une rue d'Athènes (AFP / Aris Messinis)
Comprendre la crise. Tentez de comprendre, au-delà des données arides de la troïka Union européenne - Fonds monétaire international - Banque centrale européenne, et des analyses des «think tanks».
Un collègue grec m’explique la situation de l’immobilier. Beaucoup de gens, et pas seulement les riches, sont propriétaires dans ce pays, me dit-il. Certains ont hérité, à Athènes ou dans les îles, mais d’autres ont acheté, et emprunté à la banque. Or s’ils sont au chômage, si les affaires marchent mal, ou que les salaires ou les pensions de retraite sont autoritairement réduits, ils ne peuvent plus rembourser leur emprunt. Les banques ont donc accepté de geler leurs remboursements.
Mais devant leurs propres difficultés croissantes de trésorerie, elles veulent maintenant mettre fin à ces sursis de paiements. Et elles vont menacer de saisir les biens de ceux qui refuseront de payer. Or que saisiront-elles, en fin de compte ? Des logements le plus souvent invendables, car le marché est au plus bas. Et des biens qui auront perdu 30 pour cent, ou plus, de leur valeur…
C’est cela, la crise, m’explique-t-il, avant d’ajouter : «Et il faut encore que je te dise quelque chose. Avant (avant la crise), on ne payait pas d’impôts fonciers en Grèce. Maintenant, c’est le cas. C’est nouveau. Mais l’Etat réclame ces impôts non seulement pour cette année, mais rétroactivement, pour les années 2012, 2011, 2010… Beaucoup de propriétaires n’ont qu’une idée: se débarrasser au plus vite de ce qu’ils possèdent… et en tenant ce raisonnement, ils ne font qu’aggraver encore un peu plus la situation…»
Dimanche 22 septembre: la classe moyenne qui se donne des airs
(AFP / Aris Messinis)
J’interroge une amie, dont la famille vit depuis plusieurs générations à Kolonaki, sur cette fameuse jeunesse dorée observée à mon arrivée, qui passe du bon temps dans les cafés du quartier, et semble ignorer la crise.
«Tous ces jeunes que tu vois? Tu veux savoir? En fait, ils n’habitent pas ici, pour la plupart d’entre eux!» m’explique-t-elle.
«Ce ne sont pas eux, la bourgeoisie du quartier. Les habitants du quartier, en général, ils restent chez eux…», insiste-t-elle.
«Là, ce que tu vois, toutes ces filles à la mode, ces lunettes de soleil, ces sacs à main, tout ça, ce sont des gamines qui ont demandé dix euros à la grand-mère, dix euros au grand père, dix au père et dix à leur mère, et qui viennent ici pour se montrer dans les quartiers chics… Elles ne sont pas riches, mais elle se disent qu'elles vont peut-être se faire des amis plus riches qu’elles. Elles pensent que c’est bien de se montrer à Kolokani…»
Autant pour moi! J'avais donc tout faux. Je pensais évoluer parmi les privilégiés, les fils et filles à papa, et je suis loin du compte. En réalité, toutes ces belles terrasses sont fréquentées par la petite classe moyenne.
Je voulais me lancer à l'assaut des quartiers défavorisés, mais cette crise, dont il me tarde de vérifier la réalité, elle est déjà là, un peu partout autour de moi, dans ce quartier riche!
Et suite à cette petite mésaventure, c’est une blague sur la profession de journaliste qui me revient en mémoire: «Le journaliste, c’est quelqu’un qui, lorsqu’il reste deux heures dans un pays, écrit un article. Lorsqu’il y passe deux jours, il écrit un livre. Et lorsqu’il y reste deux ans, alors il n’écrit plus rien, parce que tout est devenu trop compliqué…»
Michel SAILHAN
(AFP / Aris Messinis)
COPY http://www.afp.com/
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