28/01/2016 - 13:37
Entre Sanders et Trump, son cœur balance
WILLIAMSBURG (Etats-Unis), 28 janvier 2016 – « Si c’est politique, raccrochez tout de suite s'il vous plaît ».
Voilà comment Pauline Mcareavy, petite dame fringante de l’Iowa, répond au téléphone ces temps-ci. Y compris au journaliste français qui, quatre ans après une interview mémorable, veut savoir si Pauline va encore changer de bord à la présidentielle américaine.
Le téléphone de Pauline, 82 ans, sonne beaucoup en période électorale. Quatre fois l’autre soir pendant le dîner. Elle a le malheur de faire partie des bases de données démocrates et républicaines, car elle a soutenu dans le passé des candidats des deux partis.
Mais c’est aussi pour cette raison que je suis revenu voir Pauline, rencontrée par hasard en octobre 2012 alors qu’elle balayait devant sa porte, dans un cul de sac de Williamsburg, bourgade de 3.175 âmes cernée de champs.
C’était dix jours avant la réélection de Barack Obama. Elle avait raconté sa déception envers le président démocrate, dont elle avait hébergé des bénévoles en 2008.
« Je me suis fait avoir, et je m’en veux », disait-elle alors. Elle avait voté pour le républicain Mitt Romney.
Quatre ans plus tard, des centaines de journalistes reviennent pour couvrir les « caucus » de l’Iowa, la première consultation des primaires 2016. La mission est de comprendre pourquoi les candidats « anti-système » sont les vedettes de l'élection : le milliardaire Donald Trump chez les républicains, et le sénateur du Vermont Bernie Sanders qui talonne Hillary Clinton dans les sondages démocrates.
Pauline va nous éclairer.
Rendez-vous est pris pour un samedi matin. Elle nous reçoit dans son impeccable maison, typiquement américaine, sans étage. Dehors, sur le carré de pelouse gelée, un drapeau flotte en haut du mat installé par l'un de ses quatre fils. Les voisins observent discrètement. Des muffins et du café nous attendent dans la cuisine. Pauline a perdu son mari récemment, pas son humour grinçant.
« La seule chose bien dans sa mort c’est qu’il ne vote plus », dit-elle en plaisantant, pleine de nostalgie pour les disputes politiques homériques qu’elle avait avec lui.
Pauline ne rentre pas dans les cases des analystes politiques. Elle était démocrate, comme ses parents, jusqu’à ce que Bill Clinton rencontre Monica Lewinsky. Puis républicaine: elle adore la famille Bush. Barack Obama et son message d’espoir l’a ramenée chez les démocrates, jusqu’à la rupture de 2012. Cette année, elle ne sait pas vraiment si elle ira aux caucus démocrates ou républicains. La loi lui permet de choisir.
« Je ne devrais probablement pas le dire devant la caméra, mais j’aime bien ce que dit Trump. Mais je ne sais pas si les Américains voteront pour lui alors j’hésite », offre-t-elle d’emblée. Et puis elle lâche: « si je vais chez les démocrates je me mettrai avec Sanders ». « Tout sauf Hillary », dit-elle sèchement.
« J’en ai marre des politiciens », explique-t-elle. Sanders et Trump, eux, « disent la vérité ou ce qu’ils pensent être la vérité ».
Elle suppose que Donald Trump, puisqu’il est milliardaire, saura relancer l’économie. Mais l'important dans un candidat est l'intégrité : « Je me demande d'abord si la personne est honnête. Et je pense que Trump est honnête. Bizarre mais honnête. Sanders aussi ».
Il faut se garder de généraliser à partir d’un cas particulier, fût-il aussi séduisant que Pauline Mcareavy. Mais les anecdotes s’accumulent. Le rejet de l’establishment et des élites politiques est décidément le thème de cette drôle d’année électorale.
Un ami, bénévole de la campagne Sanders, m'a raconté que sur une quinzaine de conversations téléphoniques, trois ou quatre électeurs lui ont dit hésiter entre Trump et Sanders. Un étudiant républicain rencontré à un meeting de Bernie Sanders dimanche à Cedar Falls évoque lui aussi spontanément les deux hommes, même s’il préfère Trump. Une analyse du New York Times a montré qu’une partie des partisans de Donald Trump était composée de démocrates d’Etats conservateurs.
Quand on interroge les électeurs, on découvre qu'ils confondent souvent les positions des candidats ou oublient pour qui ils ont voté il y a quatre ans. Ils sont moins polarisés que ceux qui réclament leurs voix.
Sur les valeurs, Pauline est ainsi traditionnelle mais pas inflexible. « Très, très catholique », elle est contre l’avortement et le mariage gay. Mais elle estime que le droit d’avorter est une décision personnelle, sauf pour les avortements tardifs, et elle tient à ce que les couples homosexuels bénéficient exactement des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Elle regarde Fox News, la chaîne d’informations préférée des républicains, mais aussi MSNBC, l’équivalent progressiste. Elle n’aime pas CNN.
« Je pense que je suis républicaine maintenant. Je ne sais pas. En tout cas tout le monde pense que je suis républicaine ! »
Nous sommes convenus de nous reparler après novembre.
Ivan Couronne est un journaliste de l’AFP basé à Washington.
Par Ivan COURONNE
Pauline McAreavy dans sa maison de Williamsburg, dans l'Iowa (AFP / Jim Watson)
WILLIAMSBURG (Etats-Unis), 28 janvier 2016 – « Si c’est politique, raccrochez tout de suite s'il vous plaît ».
Voilà comment Pauline Mcareavy, petite dame fringante de l’Iowa, répond au téléphone ces temps-ci. Y compris au journaliste français qui, quatre ans après une interview mémorable, veut savoir si Pauline va encore changer de bord à la présidentielle américaine.
Le téléphone de Pauline, 82 ans, sonne beaucoup en période électorale. Quatre fois l’autre soir pendant le dîner. Elle a le malheur de faire partie des bases de données démocrates et républicaines, car elle a soutenu dans le passé des candidats des deux partis.
Mais c’est aussi pour cette raison que je suis revenu voir Pauline, rencontrée par hasard en octobre 2012 alors qu’elle balayait devant sa porte, dans un cul de sac de Williamsburg, bourgade de 3.175 âmes cernée de champs.
Une
affiche géante de Donald Trump derrière la maison d'un de ses partisans à
West Des Moines, dans l'Iowa, le 25 janvier 2016 (AFP / Jim Watson)
C’était dix jours avant la réélection de Barack Obama. Elle avait raconté sa déception envers le président démocrate, dont elle avait hébergé des bénévoles en 2008.
« Je me suis fait avoir, et je m’en veux », disait-elle alors. Elle avait voté pour le républicain Mitt Romney.
Les « anti-système », vedettes de l'élection
Quatre ans plus tard, des centaines de journalistes reviennent pour couvrir les « caucus » de l’Iowa, la première consultation des primaires 2016. La mission est de comprendre pourquoi les candidats « anti-système » sont les vedettes de l'élection : le milliardaire Donald Trump chez les républicains, et le sénateur du Vermont Bernie Sanders qui talonne Hillary Clinton dans les sondages démocrates.
Pauline va nous éclairer.
Rendez-vous est pris pour un samedi matin. Elle nous reçoit dans son impeccable maison, typiquement américaine, sans étage. Dehors, sur le carré de pelouse gelée, un drapeau flotte en haut du mat installé par l'un de ses quatre fils. Les voisins observent discrètement. Des muffins et du café nous attendent dans la cuisine. Pauline a perdu son mari récemment, pas son humour grinçant.
Démocrate, puis républicaine, puis démocrate, puis...
« La seule chose bien dans sa mort c’est qu’il ne vote plus », dit-elle en plaisantant, pleine de nostalgie pour les disputes politiques homériques qu’elle avait avec lui.
Pauline ne rentre pas dans les cases des analystes politiques. Elle était démocrate, comme ses parents, jusqu’à ce que Bill Clinton rencontre Monica Lewinsky. Puis républicaine: elle adore la famille Bush. Barack Obama et son message d’espoir l’a ramenée chez les démocrates, jusqu’à la rupture de 2012. Cette année, elle ne sait pas vraiment si elle ira aux caucus démocrates ou républicains. La loi lui permet de choisir.
« Je ne devrais probablement pas le dire devant la caméra, mais j’aime bien ce que dit Trump. Mais je ne sais pas si les Américains voteront pour lui alors j’hésite », offre-t-elle d’emblée. Et puis elle lâche: « si je vais chez les démocrates je me mettrai avec Sanders ». « Tout sauf Hillary », dit-elle sèchement.
« Trump est honnête. Bizarre mais honnête »
« J’en ai marre des politiciens », explique-t-elle. Sanders et Trump, eux, « disent la vérité ou ce qu’ils pensent être la vérité ».
Elle suppose que Donald Trump, puisqu’il est milliardaire, saura relancer l’économie. Mais l'important dans un candidat est l'intégrité : « Je me demande d'abord si la personne est honnête. Et je pense que Trump est honnête. Bizarre mais honnête. Sanders aussi ».
Le
candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders pendant un meeting à
Cedar Falls, dans l'Iowa, le 24 janvier 2016 (AFP / Jim Watson)
Il faut se garder de généraliser à partir d’un cas particulier, fût-il aussi séduisant que Pauline Mcareavy. Mais les anecdotes s’accumulent. Le rejet de l’establishment et des élites politiques est décidément le thème de cette drôle d’année électorale.
Sympathisants démocrates de Trump
Un ami, bénévole de la campagne Sanders, m'a raconté que sur une quinzaine de conversations téléphoniques, trois ou quatre électeurs lui ont dit hésiter entre Trump et Sanders. Un étudiant républicain rencontré à un meeting de Bernie Sanders dimanche à Cedar Falls évoque lui aussi spontanément les deux hommes, même s’il préfère Trump. Une analyse du New York Times a montré qu’une partie des partisans de Donald Trump était composée de démocrates d’Etats conservateurs.
Quand on interroge les électeurs, on découvre qu'ils confondent souvent les positions des candidats ou oublient pour qui ils ont voté il y a quatre ans. Ils sont moins polarisés que ceux qui réclament leurs voix.
A
Waterloo, dans l'Iowa, un panneau - vandalisé - invite les électeurs à
voter "moralement" contre l'avortement et le mariage gay, le 25 janvier
2016 (AFP / Jim Watson)
Sur les valeurs, Pauline est ainsi traditionnelle mais pas inflexible. « Très, très catholique », elle est contre l’avortement et le mariage gay. Mais elle estime que le droit d’avorter est une décision personnelle, sauf pour les avortements tardifs, et elle tient à ce que les couples homosexuels bénéficient exactement des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Elle regarde Fox News, la chaîne d’informations préférée des républicains, mais aussi MSNBC, l’équivalent progressiste. Elle n’aime pas CNN.
« Je pense que je suis républicaine maintenant. Je ne sais pas. En tout cas tout le monde pense que je suis républicaine ! »
Nous sommes convenus de nous reparler après novembre.
Ivan Couronne est un journaliste de l’AFP basé à Washington.
Pauline McAreavy dans sa maison de Williamsburg, dans l'Iowa, le 23 janvier 2016 (AFP / Jim Watson)
copy http://blogs.afp.com/makingof/
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