A Kandahar, les civils pris entre deux feux

Sidiqullah, 7 ans, a perdu sa jambe dans une explosion. Il réapprend à marcher à l’hôpital de Kandahar.

A Kandahar, les civils pris entre deux feux


Le nombre de victimes de la guerre entre forces afghanes et insurgés talibans ne cesse d'augmenter.

LE MONDE | • Mis à jour le |
Sidiqullah, 7 ans, a perdu sa jambe dans une explosion. Il réapprend à marcher à l’hôpital de Kandahar.

Le policier a pris une balle dans la tête. Il est allongé sur le chariot, immobile, les doigts tremblant par intermittence, le visage tuméfié, tandis que des infirmiers le poussent dans une chambre. Ils le déshabillent lentement. Assis sur un lit, un autre blessé observe le remue-ménage avec fatalisme. Lui aussi est policier. Il a la tête bandée, le visage noirci et son ventre nu sont grêlés de stigmates.

Scène ordinaire dans la salle d'urgence de l'hôpital Mirwais à Kandahar, un complexe médical bâti par les Chinois dans les années 1970 et aujourd'hui soutenu par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Toute la violence du Sud afghan, dont Kandahar est la capitale, converge dans cette salle d'urgence au chaos permanent.
Une vingtaine de blessés de guerre y affluent chaque jour. Le rythme ne fléchit pas alors que l'élection présidentielle du 5 avril se traduit par un regain d'attaques orchestrées par les talibans, résolus à perturber le scrutin. Douze ans après l'intervention d'une coalition internationale dirigée par les Américains dans la foulée des attentats du 11-Septembre, la guerre continue inlassablement en Afghanistan. Le départ graduel des soldats de l'OTAN, censé s'achever fin 2014, n'y a pas mis fin, le combat se poursuivant entre forces afghanes et insurgés talibans en dépit des tentatives de « réconciliation nationale » du président sortant Hamid Karzaï.
  • L’Afghanistan confronté à de graves défis humanitaires
    Outre une situation sécuritaire plus qu’inquiétante, l’Afghanistan est confronté à des défis importants. Le nombre de déplacés à l’intérieur du pays est actuellement estimé à quelque 600 000 personnes et ce chiffre pourrait encore augmenter en 2014, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Dans un camp situé dans la périphérie de Kaboul, les réfugiés survivent dans des conditions inhumaines. Les enfants bien sûr ne sont pas scolarisés. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni aucune infrastructure. Tout manque. “Quelque 850 familles vivent dans ce camp. Elles viennent de Kandahar, des provinces du Helmand et d’Uruzgan. Je suis désolé de dire ça mais on ne ferait même pas vivre des animaux ici et dans ces conditions”, dit un réfugié. La plupart de ces réfugiés arrivent des régions du sud du pays, zones les plus touchées par les conflits. Officiellement interdits, ces camps étaient jusqu‘à présent tolérés par le gouvernement afghan qui conseillaient pourtant régulièrement à ces déplacés de rentrer chez eux.
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« IL Y AVAIT DIX ENFANTS DANS LA MAISON. »
Le bilan humain est lourd. Sur la seule année 2013, 2 679 soldats et policiers afghans (soit une hausse d'un tiers par rapport à 2012) et 6 235 insurgés ont été tués, selon des statistiques de l'OTAN. Et dans cette sale guerre, les civils sont frappés de plein fouet. En 2013, ils étaient 2 959 à avoir été tués (soit une hausse de 7 % par rapport à 2012) et 5 656 à avoir été blessés (+14%), selon les chiffres de la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (Unama) qui tire dans son dernier rapport, daté de février, la sonnette d'alarme devant l'essor du nombre de ces victimes civiles.
Noorulda, 5 ans, est l'un de ces innocents touchés dans leur chair. Il dort, allongé sur son lit, crâne bandé de gaze, jambes disparaissant sous une couverture. Son père Ahmadjaan, tête enturbannée et longue barbe blanche, se tient à ses côtés. L'anxiété se lit sur son visage buriné par le soleil. Il raconte l'incident survenu deux jours plus tôt dans le district de Maiwan, proche de Kandahar : « Les talibans étaient dans le village. Quand un convoi de l'armée est passé à proximité, il a été pris pour cible. Les soldats ont riposté. Ils ont tiré dans notre direction, un obus est tombé sur notre maison. Le toit s'est effondré. Il y avait dix enfants dans la maison. »
Noorulda et l'un de ses frères ont été blessés. Javed Ahmat écoute sans mot dire. Il est assis sur le lit d'en face, calot blanc sur la tête. Agé de sept ans, Javed est lui aussi l'une de ces « victimes collatérales » de la guerre afghane. Son épaule et son torse sont enserrés dans un corset de bandages.
BOMBES ARTISANALES
Installé à ses côtés sur le matelas, son père, Mahbood Shah, ouvre ses grands yeux clairs emplis d'incrédulité. Il ne comprend toujours pas ce qui s'est passé. A l'en croire, leur village de Mard Qala, situé dans le district de Dand, a été visé par un drone américain survolant la zone. « Il n'y avait pas de talibans dans le village », assure-t-il. Nombre de ces victimes civiles finissent amputées. Sidiqullah, 7 ans, est assis sur un banc, jambe droite réduite en moignon. On le rencontre au centre orthopédique de l'hôpital, créé et géré par l'ONG Handicap International. Un employé du centre ajuste sa prothèse. Et voilà que Sidiqullah s'essaye à marcher entre deux longues barres de fer, s'aidant de son seul pied valide et de ses deux bras. Le drame a eu lieu il y a cinq mois. Sidiqullah et sa grand-mère étaient juchés sur un âne quand l'engin explosif a semé la mort. La vieille dame a été tuée sur le coup. Sidiqullah a survécu, mais amputé.
La guerre contre les Soviétiques et l'ex-régime communiste de Kaboul a beau s'être achevée il y a plus de deux décennies, les mines héritées de cette période continuent de faire des victimes en Afghanistan. Elles sont de plus en plus supplantées, il est vrai, par les engins plantés au bord des routes par les talibans. Ces bombes artisanales visent les convois des troupes étrangères ou afghanes mais, abandonnées sous terre, elles frappent indifféremment militaires et civils.
D'une manière générale, l'Unama impute 74 % des victimes civiles à des actions d'insurgés. Et 34 % précisément à ces engins explosifs, dont l'usage ne cesse de se répandre. En 2013, le nombre de civils tués ou blessés par ces engins a augmenté de 84 % par rapport à 2012. Les talibans les conçoivent de plus en plus puissants afin de s'ajuster aux véhicules blindés de plus en plus résistants. Une surenchère mortelle, dont les villageois afghans sont les premières victimes.
 Frédéric Bobin (Kandahar, envoyé spécial)
Journaliste au Monde 

COPY  http://www.lemonde.fr

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