Hollande-Valls, l'histoire secrète du remaniement
« Le Monde » dévoile les ultimes tractations qui ont précédé, mercredi 2 avril, l’annonce du nouveau gouvernement.
- Cent députés PS en colère réclament un « contrat de majorité »
- Document : la lettre des 100 députés PS au gouvernement
- L'atterrissage de Moscovici à Bruxelles connaît quelques turbulences
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Bastien Bonnefous, David Revault d'Allonnes et Thomas WiederDepuis quand le président a-t-il compris qu’il y avait quelque chose de dysfonctionnel dans le couple qu’il formait avec Jean-Marc Ayrault ? « En réalité, il a tranché depuis très longtemps, assure un intime. Depuis la fin de l’été 2012, il sait que cela ne marche pas. » Il aura pourtant fallu patienter jusqu’à la dernière minute de la dernière réunion pour que M. Hollande, après avoir laissé pendant des mois planer un anxiogène suspense, signifie à Manuel Valls qu’il le nommait premier ministre. Et encore le président ne l’a-t-il pas complètement verbalisé. En mai 2012, il le lui avait annoncé sans ambages, en tête à tête : « Tu seras le ministre de l’intérieur. » Cette fois, il est resté plus sibyllin : « Jean-Marc Ayrault m’a adressé sa lettre de démission. »
Tout s’est précipité ce soir du dimanche 30 mars, qui vit le PS encaisser ce qui restera sans doute comme la plus sévère de ses déroutes municipales. Expert de la carte électorale, M. Hollande comprend immédiatement l’amplitude du désastre. Il s’est bien sûr penché, dans sa région, sur la chute de Limoges, à gauche depuis un siècle.
Il connaît aussi dans le moindre détail la situation politique des villes prises par le FN. « C’est un message de colère, de rupture », glisse-t-il à ses conseillers. Il a eu les battus au téléphone. Ceux de proches et de ministres, qui le pressent de changer. « L’équipe remaniée était déjà acquise. Mais le maintien d’Ayrault était plus difficile à justifier », confiera-t-il en privé quelques jours plus tard.
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- « Ça s’est passé douloureusement »
Il reçoit dans la foulée Manuel Valls. Les deux hommes évoquent de concert les « risques et avantages » de sa nomination, s’attardent sur les réticences des écologistes, et commencent à faire l’ébauche d’un « gouvernement Valls ». Mais, là encore, au terme du rendez-vous, le président n’a formellement rien indiqué à celui qu’il a choisi pour Matignon.
Et ce n’est qu’en début d’après-midi que M. Valls comprend que la partie est gagnée. « Ca a été douloureux pour Hollande », glisse un poids lourd du gouvernement. Le président, qui déteste les ruptures, l’a d’ailleurs dit à l’un de ses visiteurs du soir : « Ça s’est passé rapidement et clairement, simplement et douloureusement. »
- Avec ou sans les Verts
Lundi soir, les deux ministres écologistes sortants, Cécile Duflot et Pascal Canfin, annoncent qu’ils ne seront pas d’un exécutif Valls, pour cause d’orientations politiques divergentes.
Mardi matin, une délégation d’Europe Ecologie-Les Verts est reçue place Beauvau. Pour l’occasion, Manuel Valls sort le grand jeu. Il leur propose le ministère de l’écologie, assorti du portefeuille hautement stratégique de l’énergie, des engagements et un calendrier pour la loi de transition énergétique, et l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les législatives de 2017.
Cerise sur le gâteau : dans le couloir, une fois l’entretien terminé, M. Valls aborde lui-même le délicat sujet de Notre-Dame-des-Landes pour assurer que la position du gouvernement sur la question pourrait évoluer en cas d’accord… Emmanuelle Cosse, la patronne des écologistes, reconnaît que la proposition est « solide et correcte ».
En fin de journée, tout semble indiquer que les écologistes vont accepter l’offre de M. Valls. Mais deux lignes s’opposent : celle de Mme Duflot contre celle des parlementaires, qui souhaitent majoritairement participer au gouvernement. C’est la première qui l’emporte. Vers 20 heures, la direction du parti, après un vote de ses membres, fait savoir qu’il n’y aura pas de ministres EELV dans le gouvernement Valls. « Le premier ministre leur a fait des propositions qu’aucun autre n’aurait pu faire », s’agacera plus tard M. Hollande.
- Le cas Taubira
Les socialistes n’avaient pourtant pas ménagé leurs efforts. Arnaud Montebourg lui avait rendu visite deux fois, les jours précédents, pour la conjurer de rester. Le président lui a adressé de nombreux messages. Mais elle ne s’était pas laissé convaincre. « J’ai envie de rentrer chez moi. Ça suffit. Tout ça me gonfle », glissait-elle à ses proches.
Mardi, à Matignon, M. Valls revient à la charge. « Le président tient à ce que tu sois là. C’est important pour la gauche », argumente-t-il. « Moi, j’ai plus envie de mon Amazonie », décline Mme Taubira. Tous deux divergent sur l’analyse du scrutin. Et sur le portefeuille. La culture ? « Je suis prête à sortir tous les soirs, mais ministre, non », décline-t-elle. L’éducation ? Elle n’en veut pas non plus. Si elle reste, ce sera à la justice.
Mercredi matin, elle donne enfin son accord à M. Valls. Avant de reculer, par SMS : « Je n’ai pas de garanties sur la réforme pénale. » Le premier ministre l’appelle pour la rassurer : « La réforme n’est que différée. » Marché conclu.
- « Hollandais » en rage
Au menu : la colère et le dépit. Déjà pendant la campagne, ces compagnons des années difficiles avaient mal supporté de voir Manuel Valls s’imposer comme l’homme indispensable auprès de leur « François ». Valls à Matignon, c’est pour eux un pénible remake. « L’impression, comme le dit l’un, de se faire encore baiser ». Avec ses vieux fidèles, le président ne fera pas dans le sentiment. « J’ai fait comprendre que personne ne peut se prévaloir du privilège de l’antériorité », dira-t-il. Ceux qui en avaient encore perdent leurs dernières illusions.
- Dernières négociations
De son côté, Arnaud Montebourg est catégorique: si Jean-Marc Ayrault devait être reconduit à Matignon, il démissionnerait. Il répète à l’envi que sa lettre est prête. Au lendemain du second tour des municipales, le fougueux ministre fait même monter les enchères. La rumeur circule qu’il ne veut pas non plus être d’un gouvernement Valls. « Il estime que Hollande est déjà grillé pour 2017 et qu’il doit rompre tout de suite pour prendre date », explique un cadre socialiste au cœur des tractations.
En réalité, M.Montebourg s’est rapproché de M.Valls depuis des mois. « Il a dealé un gros portefeuille avec lui, résultat il a obtenu l’économie », confie un intime. La victoire est belle, il avale le poste occupé jusqu’alors par son rival à Bercy, Pierre Moscovici, mais sans les finances affectées au « hollandais » Michel Sapin. Symbole de cette revanche : jeudi, lors de la passation des pouvoirs entre les deux hommes, M. Montebourg tourne ostensiblement ses pouces durant le discours de M.Moscovici…
Benoît Hamon, quant à lui, a vu Manuel Valls mardi soir tard à Matignon. Le premier ministre lui propose d’emblée l’éducation nationale, mais la discussion entre les deux hommes, aux antipodes à l’intérieur du PS, prend vite une dimension politique. « Benoît lui a dit qu’il ne considérait pas sa participation au gouvernement comme naturelle, raconte un proche. Il veut qu’on tire les leçons des municipales sur l’orientation économique générale, pas question que ce soit juste un coup de com’. »
Le samedi d’avant, M. Hamon était à l’Elysée. Il avait conseillé au président de « changer les choses politiquement », explique son entourage, évoquant plusieurs hypothèses pour Matignon parmi lesquelles Martine Aubry et Manuel Valls. Mais François Hollande, une fois de plus, avait écouté sans dévoiler ses intentions profondes. Ce jour-là, encore, il était, sur l’essentiel, resté muet comme une tombe.
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