Chaque année, le Japon est saisi d'une frénésie de cartes de voeux : en moyenne de 3,5 à 4 milliards (pour une population de 120 millions d'habitants, soit une trentaine par personne) sont postées à travers l'Archipel dans les deux dernières semaines de décembre. Parents, amis, relations, collègues, supérieurs hiérarchiques et commerçants soignant leurs clients : tout le monde y va de ses bons voeux.
L'usage veut toutefois que l'on n'en présente pas aux familles ayant connu un deuil au cours de l'année qui s'achève. Souvent, celles-ci adressent des cartes de deuil annonçant qu'elles n'échangeront pas de voeux cette année, par respect pour le défunt.
En raison du drame qui a frappé en 2011 la population de la région du Tohoku, touchée, en mars, par le fort séisme suivi d'un tsunami, les cartes de voeux envoyées aux habitants comportent des formules imprimées plus sobres que celles, joyeuses et pleines de promesses, qui y figurent généralement. La plupart de celles envoyées dans cette région sont simplement marquées de l'idéogramme choisi comme symbole de l'année 2011 : le lien.
Les Japonais utilisent évidemment des cartes de voeux richement illustrées par différents motifs traditionnels (pin, bambou ou branche de prunier, qui font partie des décorations du Nouvel An, soleil levant sur le mont Fuji, etc.), et surtout, par les signes du zodiaque chinois. Celui-ci a un cycle de douze ans et chaque année est représentée par un animal (rat, tigre, serpent, cheval...). L'année 2012 est celle du Dragon - le seul animal imaginaire du cycle. Il n'y a pas si longtemps, les enfants confectionnaient un tampon avec une patate douce coupée en deux sur laquelle ils gravaient l'animal de l'année. Puis, les cartes imprimées se sont répandues. En 2011, certaines sont même parfumées.
En dépit de ces innovations, la plus populaire reste celle proposée par la poste : une simple carte, postée sans enveloppe, qui comporte, imprimées, les formules consacrées (
"Bonne année",
"Je m'en remets à votre bienveillance cette année encore"... ), que l'on peut
compléter de quelques mots plus personnels.
Ces cartes de voeux sobres, dont l'affranchissement est inclus dans le prix (50 yens, soit 50 centimes d'euro) sont achetées en grandes quantités par les entreprises. Leur popularité tient aussi au fait qu'elles font également office de billets de loterie : chacune d'elles porte un numéro qui permettra au gagnant d'
obtenir un cadeau (télévision, téléphone mobile, navigateur...), dont la valeur ne peut
excéder 5 000 fois le prix de la carte.
Cette loterie, lancée au lendemain de la seconde guerre mondiale, reflète deux moments du Japon.
A l'époque Heian (fin du VIII
e siècle-fin du XII
e siècle), à la pratique d'
aller souhaiter en personne la bonne année à ses parents ou à un supérieur s'ajouta (ou se substitua), dans l'aristocratie, l'envoi de lettres aux personnes géographiquement éloignées. Un moyen de
faire savoir à un
être cher que l'on était toujours en vie à une époque où les communications étaient difficiles. Cette tradition s'étendit ensuite aux autres couches de la population. A l'époque Meiji (1868-1912), après que le Japon eut adopté le calendrier grégorien - l'année lunaire prévalait jusqu'alors et le début de l'année correspondait à ce que l'on nomme le "Nouvel An chinois" - les cartes de voeux commencèrent à
être commercialisées. La distribution des cartes de voeux le 1
er janvier fut instituée en 1899. Et, quelques années plus tard, apparurent les cartes prétimbrées.
Au lendemain de la défaite de 1945, de nombreux Japonais étaient sans nouvelles de leurs proches, et des émissions de radio étaient consacrées à leur recherche. Elles donnèrent l'idée à un marchand d'Osaka de
proposer au ministère des postes d'
encourager ceux qui s'étaient perdus de vue dans le chaos de la guerre à s'
envoyer des cartes de voeux. Pour les y
inciter davantage, furent commercialisées, à
partir de 1949, des cartes de voeux-billets de loterie.
Les lots reflétaient la situation et les besoins d'un pays se relevant à peine de la défaite : il s'agissait d'appareils ménagers de première nécessité, comme des machines à
coudre ou des lessiveuses. Aujourd'hui, la loterie fait moins recette : seulement deux tiers des gagnants vont
chercher leurs lots.
Les voeux s'échangent de plus en plus sur Internet ou par l'intermédiaire des téléphones portables. Pourtant, la tradition de la carte calligraphiée, qui atteste, par les caractères tracés à la main, d'un lien humain, reste profondément ancrée.
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Philippe Pons