Comment contourner la censure sur le Web en Thaïlande ?

Manifestations à Taipei (Taïwan), le 24 mars.

Comment contourner la censure sur le Web en Thaïlande ?


Après leur coup d'Etat, les militaires se sont dit prêts à censurer Internet. Mais une technologie permettant de créer des réseaux décentralisés existe.
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    Thaïlande, Taïwan : les réseaux Mesh, outil anticensure

    Après leur coup d'Etat, les militaires se sont dit prêts à censurer Internet. Mais une technologie permettant de créer des réseaux décentralisés existe.
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    Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par
    Manifestations à Taipei (Taïwan), le 24 mars.
    Manifestations à Taipei (Taïwan), le 24 mars. | AFP/SAM YEH

    Le couvre-feu menace Internet en Thaïlande. L'armée, qui a pris hier le pouvoir après une crise de plusieurs mois, a averti qu'elle bloquerait les contenus circulant sur les réseaux sociaux qui « inciteraient à la violence ». A quelques milliers de kilomètres de Bangkok, dans la baie de San Francisco, l'équipe d'une jeune start-up assiste à des « pics » de téléchargements en Thaïlande de son produit phare : FireChat. Le premier a eu lieu le 16 mai, le second hier, témoigne Micha Benoliel, cofondateur d'Open Garden, qui édite l'application.

    A Taïwan déjà, lors des manifestations qui agitent l'île en mars, la start-up observe avec surprise le premier succès de FireChat. Encouragés par des sites spécialisés un brin alarmistes, les manifestants téléchargent massivement cette application qui permet d'échanger des messages, même en cas de coupure des réseaux téléphoniques ou d'Internet. FireChat, lancée le 20 mars, devient rapidement « numéro 1 sur l'app store à Taiwan », raconte Micha Benoliel. Informé par la presse, il suit l'engouement pays par pays : « FireChat est téléchargé plusieurs centaines de milliers de fois par jour depuis, en Australie, à Singapour, en Corée, au Japon, en Allemagne, en Espagne, en Russie. » Et désormais en Thaïlande.
    Les manifestants sont séduits par une fonctionnalité toute particulière, le « near-by » mode, qui génère un réseau local décentralisé et permet d'échanger des messages en court-circuitant les opérateurs télécoms. « FireChat est prévue pour communiquer dans les situations où l'on ne peut habituellement pas », explique Micha Benoliel, qui cite les avions, le métro, les festivals, les boîtes de nuit… FireChat n'a pas vraiment été pensé comme un outil de subversion politique, de contournement de la censure ou de communication furtive. Mais la technologie sur laquelle elle repose, baptisée Mesh, pourrait changer profondément les façons de communiquer, au moins sur un plan local.
    Sit-in devant le parlement de Taïwan, en mars 2014.
    Sit-in devant le parlement de Taïwan, en mars 2014. | Chris STOWERS/PANOS-REA/Chris STOWERS/PANOS-REA
    « Le Mesh est avant tout une structure de réseau », explique Juliusz Chroboczek, maître de conférence en informatique à l'université Paris Diderot. Tous les appareils connectés au réseau communiquent entre eux et se distribuent de façon dynamique et intelligente les données pour éviter les points d'engorgement. En somme, la structure est plus proche de l'étoile que de l'arbre. « Toutes les machines sont routeurs [les machines qui aiguillent le trafic sur un réseau] », résume le chercheur. Elles sont reliées entre elles par Wi-Fi. Ce réseau local hors-sol ne repose alors plus sur les infrastructures des fournisseurs d'accès ou opérateurs télécom.
    Cette autonomie attire une communauté de plus en plus nombreuse et diversifiée. FreiFunk, créé en 2003, est l'un des premiers mis en place en Europe, d'abord à Berlin puis un peu partout en Allemagne. Le réseau compte aujourd'hui quelques centaines de nœuds à Berlin. Ses concepteurs ignorent le chiffre exact et refusent de le connaître.  « Il n'est pas nécessaire de s'enregistrer pour l'utiliser », précise Jürgen Neumann, l'un des artisans. Il se souvient avoir vu plusieurs vagues d'utilisateurs : « Au début, ils étaient surtout motivés par des raisons économiques, puis par l'isolement géographique, surtout dans l'Est de l'Allemagne. Aujourd'hui, les gens viennent parce qu'ils commencent à comprendre que les infrastructures doivent être gérées par la société civile. »
    De l'autre côté de l'Atlantique, Dan Staples ne dit pas autre chose. Il fait partie de l'Open Technology Institute (OTI), un programme de la New America Foundation financé en partie par le Département d'Etat américain. L'OTI a lancé Commotion, le plus médiatique des projets utilisant la technologie Mesh, utilisé en Inde, en Tunisie et aux Etats-Unis. Pour Dan Staples, Commotion et les réseaux Mesh permettent de « révolutionner la façon dont est gérée l'infrastructure qui transporte et héberge les contenus ». Il dresse un parallèle avec les plateformes Indymedia, issus du mouvement antimondialisation de la fin des années 1990, qui « ont révolutionné la capacité des citoyens à devenir des producteurs de contenus ».
    Les réseaux Mesh permettent ainsi de prendre le contrôle sur la couche la plus profonde d'Internet, celle qui concerne le matériel.
    Félix Tréguer, doctorant à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (et par ailleurs membre de la Quadrature du Net, association militant pour la défense des libertés sur Internet), a coécrit un article à paraître, qui compare ces réseaux avec les autres composantes d'Internet : « Les licences Creative Commons offrent une gestion des contenus comme des biens communs. L'Internet Engineering Task Force (IETF) et le W3C font de même avec les normes qui régissent Internet. Le Mesh correspond à une gestion des infrastructures comme des biens communs ». Ce qui est possible depuis l'ouverture des fréquences radios, encore timide en France même si elle est encouragée depuis 2011 par le Parlement Européen. Justement pour favoriser l'essor des réseaux Mesh, « qui jouent un rôle clé pour réduire la fracture numérique ».

    De Taïwan aux Pyrénées en passant par detroit

    Un exemple de réseau décentralisé.
    Un exemple de réseau décentralisé. | Le Monde.fr
    Au Sud des Pyrénées, le réseau communautaire Guifi, qui utilise en partie le Mesh, relie près de 60 000 personnes, y compris des administrations dans des zones reculées de Catalogne ou du Pays Basque. Les réseaux Mesh n'ont certes pas vocation à remplacer l'Internet global. Ils permettent surtout de communiquer, d'échanger des informations localement. Ce faisant, ils « viennent déranger la structure économique et le monopole des fournisseurs d'accès à Internet sur les communications », analyse François Huguet, qui prépare une thèse à Telecom Paris Tech sur les réseaux Mesh et la participation citoyenne. Dan Staples, de l'OTI, développe une lecture politique de cet outil de communication : « L'infrastructure numérique est, en quelque sorte, le moyen de production de notre époque. » Sur lesquels les citoyens devraient donc avoir plus de contrôle, plaide-t-il.
    A Detroit, sur la côte Est des États-Unis, l'OTI a mis en place en 2011 le premier réseau Mesh à grande échelle, dans les quartiers déshérités de la ville. L'ambition n'est pas que financière ou technique selon l'une des protagonistes. Diana J. Nucera coordonne le programme de « Digital Steward », des animateurs chargés de promouvoir l'usage des Mesh : « Nous n'apportons pas seulement Internet aux habitants, nous leur apportons des compétences, nous leur permettons de construire eux-mêmes un récit leur ville. Il ne s'agit pas simplement de fournir un accès à Internet mais aussi d'aider les communautés à se structurer, à faire l'expérience d'une nouvelle forme d'indépendance. »
    « Nous sommes pour la distribution totale du pouvoir. Nous ne voulons pas d'infrastructures hiérarchisées »
    C'est aussi ce qui pousse le Berlinois Jürgen Neumann à privilégier les Mesh. « Nous sommes pour la distribution totale du pouvoir. Nous ne voulons pas d'infrastructures hiérarchisées », explique-t-il. D'où ces réseaux éclatés, entièrement décentralisés, dans lesquels chaque machine est aussi le cœur. Dan Staples met lui aussi en avant les risques liés à la centralisation du réseau : coupures en Egypte et en Syrie pendant les révoltes arabes, mais aussi aux États-Unis, à San Franscisco, lors d'une manifestation contre les violences policières, pendant laquelle les réseaux mobiles avaient été coupés.
    Pour la chercheuse du CNRS Primavera De Filippi, actuellement en poste au Berkman Center de l'Université d'Harvard, et co-auteure de l'article sur les réseaux Mesh avec Félix Treguer, cet intérêt grandissant est une réaction à la centralisation de plus en plus grande d'Internet, rendant la surveillance et la censure plus évidente techniquement. Les révélations Snowden ont aussi remis à l'agenda des interrogations anciennes sur les atteintes à la vie privée. Les curieux sont plus nombreux à venir interroger les communautés de Mesh. Mitar l'a observé. Il fait partie de l'équipe de Wlan Slovenija, une initiative qui vise à couvrir la Slovénie avec des réseaux communautaires sans fil, associant la technologie Mesh. « De plus en plus en gens veulent contribuer au réseau, nous aider bénévolement, maintenir des nœuds », raconte-t-il.
    Mais lui, comme d'autres, insiste lourdement sur un point crucial : les réseaux Mesh ne protègent pas la vie privée. Ou du moins, ils ne sont pas un garde-fou suffisant. A Berlin, Detroit ou Ljubljana, tous les artisans des Mesh évoquent la nécessité de chiffrer les communications, y compris sur ces réseaux. Mais sans point central, comme les fournisseurs d'accès à Internet, la surveillance du réseau en entier devient plus complexe. Elle devient plus coûteuse, dit Jürgen Neumann de FreiFunk. « Les Mesh diminuent le rapport coût-avantage de la surveillance à l'intérieur du réseau », calcule Dan Staples de l'OTI.
    Principale faiblesse de ces réseaux : ils protègent mal la vie privée
    Aucun ne prête de super-pouvoirs à la technologie Mesh. François Huguet note que les difficultés techniques n'ont pas encore été entièrement surmontées. Les solutions sont rarement accessibles au béotien : « Il existe un frémissement autour des réseaux Mesh, mais les basculements à grande échelle sont encore rares ». Parmi ses promoteurs, tous se disent conscients des limites actuelles, surtout pour le respect de la vie privée. « La seule solution pour en finir avec la surveillance, c'est de demander des comptes aux gouvernements » tonne Diana J. Nucera de Detroit. Jürgen Neumann opine : « Certaines choses ne peuvent pas être changées par la technologie. »
     copy  http://www.lemonde.fr/

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