18/09/2014 - 10:29
Du conte de fées au mauvais polar
TOKYO, 18 septembre 2014 - C'est l'histoire d'une jeune chercheuse japonaise qui rêve d'un prix Nobel et fait une découverte scientifique extraordinaire. Son parcours est brillant, ses travaux promettent de révolutionner la médecine régénérative. Et en plus, elle est « kawaï » (mignonne). D’un seul coup, tout le Japon se met à adorer Haruko Obokata. Les magazines et télévisions s’arrachent cette nouvelle idole à la tête bien faite qui insuffle un coup de jeune dans le monde grisonnant de la recherche nippone.
Jusqu’à ce que…
Nous voici sept mois plus tard. Mme Obokata est forcée de travailler sous la surveillance permanente de caméras et d’observateurs indépendants pour prévenir toute tricherie dans ses recherches. Elle a été mise au supplice pendant trois heures devant une horde de reporters vindicatifs et déchaînés. Elle a dû se prosterner devant eux et, en larmes, se confondre en excuses. Ses articles de recherche ont été retirés. Et son directeur de recherches s’est suicidé.
Ceci est la saga des « cellules Stap ». Un conte de fées qui vire au mauvais polar. Passé pratiquement inaperçu hors du Japon, ce scandale est révélateur de l’impossibilité pour des scientifiques de se tromper ou de tricher sans être démasqués à l’ère d’internet et des réseaux sociaux… ainsi que de la cruauté et de la violence des curées médiatiques au Japon.
Janvier 2014. Haruko Obokata est rayonnante lors de la conférence de presse organisée par l’institut Riken à Kobe. Il y a de quoi. Il n'est pas si courant, surtout au Japon, qu'une femme de 30 ans signe deux articles majeurs dans la prestigieuse revue scientifique Nature. La jeune chercheuse fait la une des journaux télévisés le soir, et celle de tous les quotidiens le lendemain matin. Son mentor, le biologiste de renom Yoshiki Sasai, affirme que ses deux articles « resteront dans les annales de Nature comme les plus impressionnants de ce début de siècle ».
De quoi s’agit-il ? Mme Obokata affirme avoir créé un nouveau type de cellules, dites cellules Stap, via un processus chimique inattendu et d’une simplicité quasi-enfantine. En théorie, il s'agirait de cellules revenues à un stade indifférencié, non pas par un quelconque procédé génétique inouï, mais par un stress causé par un trempage dans un liquide légèrement acide suivi d'un passage de quelques minutes dans une centrifugeuse et d'un séjour dans un environnement de culture. Eprouvées, une partie des cellules trouveraient dans le retour à un stade quasi embryonnaire un moyen de survie. Cette faculté permettrait ainsi de créer facilement des cellules capables d'évoluer en différents tissus et organes.
Cette découverte promet une révolution pour la médecine régénérative. Elle ouvre d’immenses espoirs dans la recherche contre la maladie d’Alzheimer, le cancer et autres maladies mortelles.
Les titres de la presse n'ont alors que des mots tendres à l’égard d’Obokata. Les médias s’extasient devant l’ « élégance » de « la mignonne chercheuse », qui incarne « le pouvoir des femmes » tout en étant « jolie fille ». Sa vie privée réelle ou supposée est mise sur la place publique. La jeune scientifique serait « incapable même pendant ses rendez-vous amoureux de laisser de côté ses recherches ». On imagine mal un tel comportement si l’auteur de l’extraordinaire découverte avait été un sexagénaire barbu et aux cheveux jaunis…
Mais ces espoirs, et la gloire qui honore la jeune chercheuse vont tourner court.
Quelques jours après la conférence de presse sensationnelle, des doutes émergent sur les réseaux sociaux et les blogs spécialisés au sujet des images projetées lors de la présentation. Puis, un des coauteurs de l’étude, le professeur Teruhiko Wakayama de l'Université de Yamanashi, se met à contester les données publiées au motif qu'elles seraient en partie fausses.
Le professeur Wakayama était pourtant lui aussi sur la photo de l’équipe de chercheurs, entre Mme Obokata et M. Sasai… Il n'a vraisemblablement pas découvert seul le pot aux roses: ce sont les internautes qui ont agité le pompon les premiers. Les passages douteux dans les articles de la jeune chercheuse n’ont pas été détectés par les médias faute de temps et d’expertise. Mais ils ne passent pas inaperçus des spécialistes, lesquels ne se privent pas de se répandre sur la toile.
Faute d’avoir découvert la fraude, les médias japonais se rabattent sur un de leurs jeux favoris : crucifier une personne qu’ils ont auparavant encensée, avec la même ardeur dans la hargne qu’ils n’en avaient dans l’admiration béate à peine quelques semaines plus tôt.
De coqueluche des magazines, la « nymphette » Obokata devient le souffre-douleur des forums en ligne et quotidiens à grand tirage. On la trouvait mignonne ? On la met désormais dans le même panier que le « faux compositeur sourd Mamoru Samuragochi », dont on découvre à peu près au même moment que presque toutes les œuvres ont été composées par un autre…
C'est sûr, la demoiselle n'est pas le génie qu'on disait, elle a été pistonnée, croit désormais savoir la presse qui parle de « favoritisme mal placé », d' « étoile tombée plus bas que terre ». Traquée et même bousculée par les équipes de télévision, y compris celles de la très respectée chaîne publique NHK, Haruko Obokata est devenue la femme à abattre.
Certains s’élèvent pour critiquer ce « cirque médiatique ». Mais la machine à broyer, impitoyable, s’est emballée et ne s’arrêtera pas. Un phénomène alimenté par la concurrence exacerbée à laquelle se livrent les médias nippons, d’une férocité sans commune mesure avec celle que l’on observe dans les pays occidentaux. L’esprit de compétition pousse journaux et télévisions à la surenchère dans la vindicte et le sensationnel, fortement aidés en cela par le fait que la plupart disposent de moyens matériels et humains également sans équivalent ailleurs (équipes de reporters pléthoriques déployées dans plusieurs endroits à la fois, utilisation d’hélicoptères pour filmer le moindre événement en direct depuis le ciel…)
A son corps défendant, l'institut public Riken, qui emploie Mme Obokata, doit créer une commission d'enquête conclut à la contrefaçon d'images, et remet de facto en cause l'ensemble des éléments présentés. La curée redouble, dans la plus pure tradition des scandales auto-entretenus à la japonaise.
« En mêlant des images issues d'expériences différentes et en utilisant des données antérieures, Mme Obokata a agi d'une façon qui ne peut aucunement être permise », assène le comité. « Cela ne peut pas s'expliquer seulement par son immaturité. Les actions de Mme Obokata et la façon bâclée dont elle a géré ses notes nous conduisent à conclure qu'elle manque non seulement de sens éthique mais aussi d'humilité et d'intégrité ».
La volée de bois vert n'est pas finie: « compte tenu de la pauvreté des notes du laboratoire de Mme Obokata, il est absolument évident qu'il va être extrêmement difficile pour quiconque d'autre de suivre et comprendre ses expériences et cela constitue un sérieux obstacle à un échange sain d'informations », poursuit le comité dont les commentaires sont taillés sur mesure pour satisfaire l’appétit sadique des médias.
Cette diatribe sans ménagements est prononcée lors d'une conférence de presse de trois heures par le président du comité d'enquête de l'institut Riken, le professeur Shunsuke Ishii, qui dit n'avoir jamais eu affaire à un cas pareil... Malheureusement pour lui, les internautes ne tardent pas à retrouver des cas similaires dans ses propres articles ! Il sera acculé à la démission.
Depuis son lit d’hôpital, où elle se trouve à la suite d’un craquage nerveux, Mme Obokata fait appel. Elle est déboutée. Et Nature finit, avec le consentement soutiré à l'intéressée et l'approbation des treize coauteurs, par retirer les articles litigieux.
Mais l'affaire ne s'arrête pas là: Mme Obokata n'est pour l'heure pas sanctionnée par son laboratoire, ce qui met en furie certains de ses collègues. Elle a beau prétendre avoir réussi 200 fois l'expérience, affirmer haut et fort « les cellules Stap existent », elle apparaît bien seule. L’institut Riken a pourtant choisi de la garder et de l'associer à de nouvelles recherches dans une salle spécialement aménagée et « sous surveillance par deux caméras 24 heures sur 24 ».
Elle doit arriver et repartir les mains vides, et travailler sous l'œil d'autres chercheurs et d'observateurs indépendants pour s'assurer qu'elle ne triche pas. Car elle est aussi soupçonnée d'avoir substitué des souris d'une espèce à une autre, et des cellules souches embryonnaires (ES) à des prétendues Stap, pour soutenir sa thèse de « l'acquisition de la pluripotence par stimulation ».
Ce qui a commencé par une petite agitation scientifico-people vire à l’engrenage médiatique aux proportions inquiétantes. La chasse au chercheur –tricheur est lancée par les journalistes, avides de débusquer un nouveau cas. Le doute est jeté, le plus souvent de façon totalement injuste, sur nombre d’autres articles scientifiques. Au point que le prix Nobel de médecine Shinya Yamanaka, découvreur des cellules souches pluripotentes induites (iPS), doit lui aussi convoquer la presse pour démentir des soupçons de retouche d'images dans un article sur les cellules souches publié dans une revue scientifique en 2000.
Une autre chercheuse du Riken, la responsable des premiers essais cliniques au monde de médecine régénérative au moyen desdites cellules iPS, menace de jeter l'éponge. Sur Twitter, elle annonce envisager de stopper les essais cliniques en raison d’un climat qualifié de « dangereux » et des atteintes portées à la crédibilité de son institut.
Puis, le 5 août, le professeur Sasai, 52 ans, est découvert pendu au Centre de biologie de l'institut Riken à Kobe. Quatre ou cinq lettres sont posées près de son corps et sur le bureau de sa secrétaire.
A la décharge de Mme Obokata, M. Sasai avait expliqué en avril, lors d'une conférence de presse éprouvante que, selon lui, « si l'hypothèse des cellules Stap n'existait pas, plusieurs phénomènes observés ne seraient pas facilement explicables », laissant entendre qu'il croyait en la possibilité de leur existence. Dans la lettre qu'il a laissée à l'attention de Mme Obokata, il assure : « ce n'est pas de ta faute. S'il te plaît, montre que les cellules Stap existent, et alors une autre vie débutera, c'est certain, certain ».
M. Sasai n’avait pas été épargné par les médias, qui avaient laissé entendre qu’il avait « avec Mme Obokata des relations inconvenantes », que prouveraient selon eux des dîners en tête-à-tête et voyages d'études dispendieux. Le suicide du talentueux chercheur semble les avoir un peu calmés. Nul ne sait pour combien de temps.
Entretemps, Mme Obokata a séjourné des mois à l’hôpital, enduré des humiliations hallucinantes lors d’une conférence de presse, et a été traquée par des dizaines de caméras à chaque fois qu’elle mettait le nez dehors. Beaucoup, l’auteur de ces lignes comprises, ont redouté qu’elle mette elle aussi fin à ses jours.
Et le pire, c’est que même si les derniers travaux en date penchent plutôt pour une réponse négative, nul ne sait encore avec certitude si les cellules Stap existent ou non…
Karyn Poupée est correspondante de l'AFP à Tokyo. copy http://www.afp.com
Par Karyn POUPÉE
La
jeune chercheuse japonaise Haruko Obokata annonce la découverte des
"cellules Stap" lors d'une conférence de presse à Kobé, le 28 janvier
2014 (AFP / Jiji Press)
TOKYO, 18 septembre 2014 - C'est l'histoire d'une jeune chercheuse japonaise qui rêve d'un prix Nobel et fait une découverte scientifique extraordinaire. Son parcours est brillant, ses travaux promettent de révolutionner la médecine régénérative. Et en plus, elle est « kawaï » (mignonne). D’un seul coup, tout le Japon se met à adorer Haruko Obokata. Les magazines et télévisions s’arrachent cette nouvelle idole à la tête bien faite qui insuffle un coup de jeune dans le monde grisonnant de la recherche nippone.
Jusqu’à ce que…
Nous voici sept mois plus tard. Mme Obokata est forcée de travailler sous la surveillance permanente de caméras et d’observateurs indépendants pour prévenir toute tricherie dans ses recherches. Elle a été mise au supplice pendant trois heures devant une horde de reporters vindicatifs et déchaînés. Elle a dû se prosterner devant eux et, en larmes, se confondre en excuses. Ses articles de recherche ont été retirés. Et son directeur de recherches s’est suicidé.
Ceci est la saga des « cellules Stap ». Un conte de fées qui vire au mauvais polar. Passé pratiquement inaperçu hors du Japon, ce scandale est révélateur de l’impossibilité pour des scientifiques de se tromper ou de tricher sans être démasqués à l’ère d’internet et des réseaux sociaux… ainsi que de la cruauté et de la violence des curées médiatiques au Japon.
Haruko Obokata dans son laboratoire de Kobé, le 28 janvier 2014 (AFP / Jiji Press)
Janvier 2014. Haruko Obokata est rayonnante lors de la conférence de presse organisée par l’institut Riken à Kobe. Il y a de quoi. Il n'est pas si courant, surtout au Japon, qu'une femme de 30 ans signe deux articles majeurs dans la prestigieuse revue scientifique Nature. La jeune chercheuse fait la une des journaux télévisés le soir, et celle de tous les quotidiens le lendemain matin. Son mentor, le biologiste de renom Yoshiki Sasai, affirme que ses deux articles « resteront dans les annales de Nature comme les plus impressionnants de ce début de siècle ».
Des cellules qui "rajeunissent"
De quoi s’agit-il ? Mme Obokata affirme avoir créé un nouveau type de cellules, dites cellules Stap, via un processus chimique inattendu et d’une simplicité quasi-enfantine. En théorie, il s'agirait de cellules revenues à un stade indifférencié, non pas par un quelconque procédé génétique inouï, mais par un stress causé par un trempage dans un liquide légèrement acide suivi d'un passage de quelques minutes dans une centrifugeuse et d'un séjour dans un environnement de culture. Eprouvées, une partie des cellules trouveraient dans le retour à un stade quasi embryonnaire un moyen de survie. Cette faculté permettrait ainsi de créer facilement des cellules capables d'évoluer en différents tissus et organes.
Cette découverte promet une révolution pour la médecine régénérative. Elle ouvre d’immenses espoirs dans la recherche contre la maladie d’Alzheimer, le cancer et autres maladies mortelles.
Une
image de l'Institut Riken montre ce qui est présenté comme des cellules
Stap, le 28 janvier 2014 à Kobé (AFP / Riken via Jiji Press)
Les titres de la presse n'ont alors que des mots tendres à l’égard d’Obokata. Les médias s’extasient devant l’ « élégance » de « la mignonne chercheuse », qui incarne « le pouvoir des femmes » tout en étant « jolie fille ». Sa vie privée réelle ou supposée est mise sur la place publique. La jeune scientifique serait « incapable même pendant ses rendez-vous amoureux de laisser de côté ses recherches ». On imagine mal un tel comportement si l’auteur de l’extraordinaire découverte avait été un sexagénaire barbu et aux cheveux jaunis…
Mais ces espoirs, et la gloire qui honore la jeune chercheuse vont tourner court.
Un des coauteurs de l'étude quitte le navire
Quelques jours après la conférence de presse sensationnelle, des doutes émergent sur les réseaux sociaux et les blogs spécialisés au sujet des images projetées lors de la présentation. Puis, un des coauteurs de l’étude, le professeur Teruhiko Wakayama de l'Université de Yamanashi, se met à contester les données publiées au motif qu'elles seraient en partie fausses.
Le professeur Wakayama était pourtant lui aussi sur la photo de l’équipe de chercheurs, entre Mme Obokata et M. Sasai… Il n'a vraisemblablement pas découvert seul le pot aux roses: ce sont les internautes qui ont agité le pompon les premiers. Les passages douteux dans les articles de la jeune chercheuse n’ont pas été détectés par les médias faute de temps et d’expertise. Mais ils ne passent pas inaperçus des spécialistes, lesquels ne se privent pas de se répandre sur la toile.
Haruko
Obokata et le professeur de l'université de Yamanashi Teruhiko Wakayama
lors de la présentation de l'étude sur les cellules Stap à l'institut
Riken de Kobé, le 28 janvier 2014. Par la suite, M. Wakayama désavouera
les travaux de l'équipe de recherche et dénoncera une falsification (AFP
/ Jiji Press)
Faute d’avoir découvert la fraude, les médias japonais se rabattent sur un de leurs jeux favoris : crucifier une personne qu’ils ont auparavant encensée, avec la même ardeur dans la hargne qu’ils n’en avaient dans l’admiration béate à peine quelques semaines plus tôt.
De coqueluche des magazines, la « nymphette » Obokata devient le souffre-douleur des forums en ligne et quotidiens à grand tirage. On la trouvait mignonne ? On la met désormais dans le même panier que le « faux compositeur sourd Mamoru Samuragochi », dont on découvre à peu près au même moment que presque toutes les œuvres ont été composées par un autre…
L'ancienne star devient la femme à abattre
C'est sûr, la demoiselle n'est pas le génie qu'on disait, elle a été pistonnée, croit désormais savoir la presse qui parle de « favoritisme mal placé », d' « étoile tombée plus bas que terre ». Traquée et même bousculée par les équipes de télévision, y compris celles de la très respectée chaîne publique NHK, Haruko Obokata est devenue la femme à abattre.
Certains s’élèvent pour critiquer ce « cirque médiatique ». Mais la machine à broyer, impitoyable, s’est emballée et ne s’arrêtera pas. Un phénomène alimenté par la concurrence exacerbée à laquelle se livrent les médias nippons, d’une férocité sans commune mesure avec celle que l’on observe dans les pays occidentaux. L’esprit de compétition pousse journaux et télévisions à la surenchère dans la vindicte et le sensationnel, fortement aidés en cela par le fait que la plupart disposent de moyens matériels et humains également sans équivalent ailleurs (équipes de reporters pléthoriques déployées dans plusieurs endroits à la fois, utilisation d’hélicoptères pour filmer le moindre événement en direct depuis le ciel…)
L'avis de retrait de l'article de Mme Obokata dans la revue Nature (capture d'écran)
A son corps défendant, l'institut public Riken, qui emploie Mme Obokata, doit créer une commission d'enquête conclut à la contrefaçon d'images, et remet de facto en cause l'ensemble des éléments présentés. La curée redouble, dans la plus pure tradition des scandales auto-entretenus à la japonaise.
« En mêlant des images issues d'expériences différentes et en utilisant des données antérieures, Mme Obokata a agi d'une façon qui ne peut aucunement être permise », assène le comité. « Cela ne peut pas s'expliquer seulement par son immaturité. Les actions de Mme Obokata et la façon bâclée dont elle a géré ses notes nous conduisent à conclure qu'elle manque non seulement de sens éthique mais aussi d'humilité et d'intégrité ».
Un rapport taillé sur mesure pour les médias
La volée de bois vert n'est pas finie: « compte tenu de la pauvreté des notes du laboratoire de Mme Obokata, il est absolument évident qu'il va être extrêmement difficile pour quiconque d'autre de suivre et comprendre ses expériences et cela constitue un sérieux obstacle à un échange sain d'informations », poursuit le comité dont les commentaires sont taillés sur mesure pour satisfaire l’appétit sadique des médias.
Accusée de falsification,Obokata s'excuse pendant une conférence de presse à Osaka, le 9 avril 2014 (AFP / Jiji Press)
Cette diatribe sans ménagements est prononcée lors d'une conférence de presse de trois heures par le président du comité d'enquête de l'institut Riken, le professeur Shunsuke Ishii, qui dit n'avoir jamais eu affaire à un cas pareil... Malheureusement pour lui, les internautes ne tardent pas à retrouver des cas similaires dans ses propres articles ! Il sera acculé à la démission.
Depuis son lit d’hôpital, où elle se trouve à la suite d’un craquage nerveux, Mme Obokata fait appel. Elle est déboutée. Et Nature finit, avec le consentement soutiré à l'intéressée et l'approbation des treize coauteurs, par retirer les articles litigieux.
Chercheuse sous vidéosurveillance
Mais l'affaire ne s'arrête pas là: Mme Obokata n'est pour l'heure pas sanctionnée par son laboratoire, ce qui met en furie certains de ses collègues. Elle a beau prétendre avoir réussi 200 fois l'expérience, affirmer haut et fort « les cellules Stap existent », elle apparaît bien seule. L’institut Riken a pourtant choisi de la garder et de l'associer à de nouvelles recherches dans une salle spécialement aménagée et « sous surveillance par deux caméras 24 heures sur 24 ».
Haruko Obokata en larmes pendant une conférence de presse à Osaka le 9 avril 2014 (AFP / Jiji Press)
Elle doit arriver et repartir les mains vides, et travailler sous l'œil d'autres chercheurs et d'observateurs indépendants pour s'assurer qu'elle ne triche pas. Car elle est aussi soupçonnée d'avoir substitué des souris d'une espèce à une autre, et des cellules souches embryonnaires (ES) à des prétendues Stap, pour soutenir sa thèse de « l'acquisition de la pluripotence par stimulation ».
La chasse au chercheur-tricheur
Ce qui a commencé par une petite agitation scientifico-people vire à l’engrenage médiatique aux proportions inquiétantes. La chasse au chercheur –tricheur est lancée par les journalistes, avides de débusquer un nouveau cas. Le doute est jeté, le plus souvent de façon totalement injuste, sur nombre d’autres articles scientifiques. Au point que le prix Nobel de médecine Shinya Yamanaka, découvreur des cellules souches pluripotentes induites (iPS), doit lui aussi convoquer la presse pour démentir des soupçons de retouche d'images dans un article sur les cellules souches publié dans une revue scientifique en 2000.
Une autre chercheuse du Riken, la responsable des premiers essais cliniques au monde de médecine régénérative au moyen desdites cellules iPS, menace de jeter l'éponge. Sur Twitter, elle annonce envisager de stopper les essais cliniques en raison d’un climat qualifié de « dangereux » et des atteintes portées à la crédibilité de son institut.
Le
professeur Yoshiki Sasai, superviseur de Haruko Obokata à l'Institut
Riken, pendant une conférence de presse à Tokyo le 16 avril 2014. Il se
suicidera cinq mois plus tard (AFP / Toru Yamanaka)
Puis, le 5 août, le professeur Sasai, 52 ans, est découvert pendu au Centre de biologie de l'institut Riken à Kobe. Quatre ou cinq lettres sont posées près de son corps et sur le bureau de sa secrétaire.
A la décharge de Mme Obokata, M. Sasai avait expliqué en avril, lors d'une conférence de presse éprouvante que, selon lui, « si l'hypothèse des cellules Stap n'existait pas, plusieurs phénomènes observés ne seraient pas facilement explicables », laissant entendre qu'il croyait en la possibilité de leur existence. Dans la lettre qu'il a laissée à l'attention de Mme Obokata, il assure : « ce n'est pas de ta faute. S'il te plaît, montre que les cellules Stap existent, et alors une autre vie débutera, c'est certain, certain ».
M. Sasai n’avait pas été épargné par les médias, qui avaient laissé entendre qu’il avait « avec Mme Obokata des relations inconvenantes », que prouveraient selon eux des dîners en tête-à-tête et voyages d'études dispendieux. Le suicide du talentueux chercheur semble les avoir un peu calmés. Nul ne sait pour combien de temps.
Entretemps, Mme Obokata a séjourné des mois à l’hôpital, enduré des humiliations hallucinantes lors d’une conférence de presse, et a été traquée par des dizaines de caméras à chaque fois qu’elle mettait le nez dehors. Beaucoup, l’auteur de ces lignes comprises, ont redouté qu’elle mette elle aussi fin à ses jours.
Et le pire, c’est que même si les derniers travaux en date penchent plutôt pour une réponse négative, nul ne sait encore avec certitude si les cellules Stap existent ou non…
Conférence de presse de l'équipe de l'institut Riken, le 9 avril 2014 (AFP / Jiji Press)
Karyn Poupée est correspondante de l'AFP à Tokyo. copy http://www.afp.com
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