En Haïti, abolir la distance
En Haïti, abolir la distance
Port-au-Prince --
Abolir la distance avec le sujet qu’on photographie, c’est ce que j’ai
cherché pendant mon reportage sur la trace de l’ouragan Matthew qui a
ravagé une partie d’Haïti en faisant des centaines de morts.
On ne peut pas s’empêcher de ressentir de
la douleur, du chagrin ou de la colère, devant ce spectacle. Parce qu’il
touche avant tout ceux qui n’ont déjà presque rien sur cette terre.
Deux femmes dans une commune des Cayes, dans le sud-ouest d'Haïti, le 16 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Faute de moyens de communication, il a fallu un peu de temps pour constater l’ampleur des dégâts.
Matthew a touché Haïti dans la nuit du 3
au 4 octobre. Le 6 on comptait au moins 108 morts. Quelques jours plus
tard on dépassait les 500.
Un pêcheur de Caira, près de Léogane, le 3 octobre, quelques heures avant l'arrivée de l'ouragan Matthew. (AFP / Hector Retamal)
Nous avons su que l’ouragan arrivait
environ une semaine avant qu’il ne touche la terre. Mais personne
n’imaginait qu’il atteigne cette intensité. Quand nous avons appris
qu’il passerait directement sur l’île, nous avons commencé à nous
préparer, pour avoir sous la main l’indispensable, l'équipement, les
batteries, les provisions.
Deux jours avant nous avons circulé dans
plusieurs endroits de la capitale Port-au-Prince pour voir comment la
population se préparait. Beaucoup de gens n’avaient même pas entendu
parler de l’arrivée d’un ouragan très puissant. Les marins de
Port Jérémie, dans le quartier de Cité Soleil, un bidonville très
pauvre, étaient au courant. Par précaution ils ne prendraient pas la mer
pendant quelques jours.
A quelques heures du passage de
Matthew, nous sommes allés avec ma collègue Amélie à Léogane, une ville
au sud-ouest de Port-au-Prince. Il y a un petit village à côté de la
plage. Les premières gouttes de pluie ont commencé à tomber et le vent a
commencé à forcir.
Près de la plage les gens
écoutaient de la musique à côté de leurs bateaux de pêche et les enfants
jouaient à la balle. Ils pensaient que cette tempête passerait, comme
les autres.
A Port-au-Prince, le 4 octobre 2016, après le passage de Matthew. (AFP / Hector Retamal)
Une
femme évacue sa maison avec son bébé pour échapper au risque
d'inondation, à port-au-Prince, le 4 octobre 2016. (AFP / Hector
Retamal)
Nous avons passé la nuit du 3 au 4,
pendant le passage de l’ouragan, à essayer de savoir ce qui se passait à
l'extrême sud-ouest du pays, l’endroit le plus touché. Après quelques
heures de sommeil nous sommes sortis avec ma collègue pour voir la
situation à Port-au-Prince. Il y avait des rues inondées, des gens
marchant autour de la ville, mais rien qui puisse se comparer à ce qui
nous attendait dans le sud-ouest.
Traversée de la rivière de La Digue, où le pont s'est effondré, le 6 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Il fallait atteindre les Cayes, la zone la
plus touchée. La route était coupée par la rivière de La Digue, à Petit
Goave. On pouvait passer à pied ou à dos d’homme, pour 50 gourdes
(environ 70 centimes d’euro). Nous avons attendu notre tour de passer en
4X4, après des camions et autobus, une fois que les pelleteuses avaient
rouvert la voie.
Tout du long, on voyait de nombreuses
maisons endommagées, la végétation et les plantations abîmées, mais rien
qui prépare à ce qui suivait.
Une famille devant sa maison, aux Cayes, le 10 octobre 2016. (AFP/ Hector Retamal)
Autour des Cayes la population demandait
de l’aide. En tendant les bras, et en demandant de la nourriture.
Beaucoup de ces personnes n’avaient rien, rien à manger et ce qu'ils
possédaient, ils l’avaient perdu dans cette catastrophe. C’était si
triste, ces enfants debout dans l’eau inondant leur maison, ces gens
traversant des rivières pour atteindre leur demeure, ces gens qui ont
tout perdu.
Garder une distance avec ce qu’on voit
est impossible dans ce moment-là. Je ne peux pas garder mes distances
avec ces personnes. Il faudrait transmettre cette proximité. Je me
demande souvent, en voulant les photographier, si c’est une bonne idée.
Et finalement je crois que c’est la seule chose à faire, de tout
montrer.
Souvent, je dis au revoir avec une
embrassade, ou alors je reviens le lendemain pour voir comment vont ces
gens. Tout ce que l’on ressent dans ces moments peut être transmis par
notre travail. Tous ces sentiments, tout ce que vous ressentez de la
douleur des autres, nous devons essayer de le faire passer. Et dans tous
les cas nous devons montrer ce qui se passe.
Jonnathan, de corvée d'eau pour que sa mère nettoie leur maison, inondée par la rivière Rouyonne, le 5 octobre 2016.
(AFP / Hector Retamal)
A Léogâne par exemple, où la route est
coupée par une rivière en crue, la Rouyonne. Je pars à la recherche de
quelques maisons en amont. Je rencontre Jonnathan. L’enfant est allé
chercher de l'eau, pour aider sa mère à nettoyer leur maison pleine de
boue.
Un peu loin je trouve Franki et je
me demande si quelqu'un est au courant du sort de ces personnes, si
quelqu'un dans le monde s’intéresse à leur épreuve. Franki, seul au
milieu de tout ça, pieds nus dans l'eau froide, avec sa chemise mouillée
sur le dos.
Franki, dans sa maison de Léogane, le 5 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Aux Cayes beaucoup de gens se plaignent
que personne ne vienne à leur aide. On voit bien que beaucoup d’entre
eux ont tout perdu. Ils avaient des petites bicoques et ils n’ont plus
rien.
Plus à l’ouest nous essayons d'atteindre
Les Anglais, la zone où est passé l'oeil de l'ouragan. Il y a un un
petit village de pêcheurs, détruit par les vagues, le vent et la pluie.
Le paysage est dévasté, couvert des débris de maisons et d’arbres.
Dans les restes d'une église évangéliste, à Roche-à-Bateaux, Les Cayes, le 16 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Une femme dans les restes de sa maison, à Jérémie, le 7 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Toutes les maisons ont souffert, la
plupart sont complètement détruite. Très peu ont été construites avec
des matériaux pouvant résister à l'assaut de l'ouragan. Beaucoup de gens
ont essayé de sauver quelques morceaux de bois et de zinc pour
s’abriter.
Le soir, je rencontre le jeune Reginelson,
qui vient m’offrir de l'eau de noix de coco, la seule potable. De sa
maison il ne reste que des murs encore debout et une partie du toit.
Pourtant, Reginelson trouve le moyen de rire et d'être généreux avec le
visiteur. J’ai rencontré ici un côté différent du pays que tout le monde
croit connaître. Il n’est pourtant pas dangereux cet Haïti que si peu
de gens sont prêts à visiter.
Aux Cayes, le 10 octobre, six jours après le passage de l'ouragan. (AFP / Hector Retamal)
Deux semaines plus tard, je me trouve dans
la ville de Port-à-Piment, avec des gens qui ont attrapé le choléra. Il
pleut très fort et beaucoup de maisons n’ont pas encore retrouvé
leur toit.
Judeline, 21 ans, dans sa maison au toit percé de trous, à Port-à-Piment, le 14 octobre. (AFP / Hector Retamal)
Il y a Judelin, 18 ans, et sa sœur
Judeline, 21 ans. Je suis resté longtemps avec eux. Judelin se tient
dehors, sous l’eau, à côté de sa maison, mais ça ne fait pas vraiment de
différence, il pleut presque autant à l’intérieur.
Je me suis demandé pourquoi ils ne
cherchaient pas un véritable abri ailleurs. Peut-être pour veiller sur
les quelques biens qui leur restent ?
Ils sont des milliers comme eux, sans vrai
refuge, sans beaucoup de nourriture. A regarder passer des convois
d’aide humanitaire.
Aux Cayes, le 10 octobre 2016. (AFP / Hector Retamal)
Ce blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.
copy https://making-of.afp.com/en-haiti-abolir-la-distance
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